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( 24 novembre, 2011 )

Pour mémoire…

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Le 14 novembre 2011, j’étais à la Brasserie Lipp, invité par le Cercle Aliénor pour y parler du poète René Guy Cadou.

Grosse affluence dans la salle du premier étage où se tenait la réunion.

Dans l’assistance, on remarquait la présence de Georges-Emmanuel Clancier accompagné de son épouse. Le romancier du « Pain noir »  et de « L’Eternité plus un jour » (je cite deux de ses livres qui m’ont marqué) est aussi poète ; il avait collaboré à « Liaisons poétiques », la revue  que mes élèves et moi publiions dans les années 1990. Moment d’émotion : à 98 ans, il a gravi l’étroit escalier du Lipp pour venir m’écouter !

J’avais intitulé ma causerie : « René Guy Cadou : quand l’amour triomphe de la mort ». J’aurais pu ajouter : « Et quand l’amitié aide à accepter le sentiment de solitude ».

Je n’ai pas rencontré Cadou : lorsqu’il est mort, en mars 1951, je n’avais que 15 ans. « Je n’ai pas oublié cette maison d’école / Où je naquis en février dix-neuf cent vingt » : ces premiers vers de « La Saison de Sainte-Reine » me donnaient sa date de naissance ; et c’est ce qui me frappa d’abord : cette disparition à 31 ans. La mort en pleine jeunesse.

Grâce à Georges Jean, mon professeur de seconde, j’allais bientôt connaître celui qui avait eu le temps, avant de mourir, et comme s’il avait su que son temps sur la terre serait bref, d’écrire des centaines de poèmes, quelques ouvrages en prose, un roman, et son autobiographie. En hâte, semble-t-il.

« Je ne ferai jamais que quelques pas sur cette terre », avait-il écrit quelque part, ajoutant ailleurs, comme si l’événement ne l’inquiétait pas outre mesure : « Nous nous aimons de loin / Belle mort inconnue / Et ma tête est promise / A tes mains fraternelles »

Entre Cadou et moi, ce fut un long compagnonnage. Dans les années 90, ma femme et moi, nous sommes partis à sa recherche (quand les livres ne suffisent plus, que l’on connaît trop, les lieux parlent à leur tour). Guidés par les messages qu’il a laissés, nous avons retrouvé ceux qui l’ont approché un jour. A Sainte-Reine où il est né. Dans les villages où il a enseigné. A Louisfert enfin, où Hélène nous a accueillis, dans la maison d’école pleine de souvenirs.

Je laisserai aux universitaires le soin de commenter son œuvre. Quelques-uns l’ont fait. Beaucoup ont négligé ce poète qu’il faut lire avec son cœur et non avec sa tête. C’est sans doute de cela que souffre sa poésie. Mais il est bon, en notre monde qui s’impersonnalise, qu’elle ait ses défenseurs, lesquels apprécient cette quête enfiévrée d’une vérité qui toujours échappe, quand on croyait l’atteindre : « D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? / Avec des bleus aux yeux et des plaies aux genoux ? »

Notre pèlerinage ?

A Sainte-Reine, nous avons gravi l’allée du calvaire, qui monte en face de la Mairie-école d’autrefois, jusqu’à la petite chapelle creusée dans le roc. Allée qui, bordée de poèmes à droite et à gauche, pérennise la présence du poète en ces lieux. A cent mètres, la maison de Marie Couvrand (décédée en 1998) abrite toujours le haut vaisselier qui fascinait l’enfant. Tout près, la forge où il passait des heures à contempler le maréchal-ferrant.

A Nantes, nous sommes passés vite, « la maison qui descendait le long du fleuve » ayant disparu dans la tourmente de la guerre.

A Bourgneuf-en-Retz, nous avons fini par dénicher la stèle de Fréour qui représente le poète.

Au Cellier, on nous a guidés jusqu’au Château de la Forêt  dans lequel Cadou faisait la classe aux enfants de Saint-Nazaire qu’on avait installés là pour les protéger des bombardements.

A Saint-Aubin-des-Châteaux, assise dans le coin le plus obscur du café, il y avait cette vieille femme silencieuse qui ne répondit pas quand nous l’interrogeâmes ; c’était elle, pourtant, qui servait ses repas au jeune instituteur dans les années 40.

A Louisfert enfin (je passe sur les villages où les lieux ne nous ont pas parlé), à Louisfert se dresse la vieille maison d’école. Qui n’a pas fait le pèlerinage ?  Nous l’avons visitée une première fois, alors que la salle de classe était encore telle qu’à l’époque où le poète enseignait l’orthographe aux Clovis en sarraus…  avec le vieux bureau, le tableau écaillé les tables de bois massif et les encriers de porcelaine. Si l’école est devenue musée, restent, pour garder le souvenir, le vieux préau au fond de la cour, et l’appartement qu’Hélène revenait habiter à la belle saison. La vieille dame y recevait volontiers le visiteur et l’emmenait au premier jusqu’à la chambre où écrivait le poète. On y retrouve sa table, ses livres, et le paysage dans la fenêtre. Un moulage immortalise la main qui, le soir, après la classe,  traçait sur « le beau papier, toujours le même, avec la plume sergent major trempée dans l’encre de Chine, », nous disait Sylvain Chiffoleau, les mots de sa survie, «  Car celui qui compose ainsi avec la fable / N’est pas loin de trouver place près du divin dans une certaine étable »

Des amis, Cadou en eut, venus de tous les horizons, pour éclairer sa vie. Je ne les citerai pas tous, sous peine de retomber dans le défaut d’un texte trop long, que personne ne lira. Mais il est difficile de passer sous silence Michel Manoll qui partagea beaucoup avec lui (Merci à Thérèse Manoll, de s’être déplacée  pour venir m’écouter, l’autre jour au Lipp) , Max Jacob qui le reçut à Saint-Benoît-sur-Loire ( « Crois-tu en Dieu ? Non, ne me réponds pas : tous les enfants perdus croient en Dieu » ; à Saint-Benoît, dans l’église, se recueillir devant la plaque indiquant la place où le vieux Max venait prier). Et surtout Pierre Reverdy, le solitaire de Solesmes, qui lui faisait de véritables déclarations d’amour : « Je vous aime comme un arbre qui me rassure des gestes délirants et amicaux de son feuillage ». Mais qui écrit à Rousselot : « C’était un être irréel, quelqu’un que je n’aurais certainement pas rencontré au rendez-vous… une des raisons pour lesquelles je n’ai jamais rien fait pour le rencontrer » 

J’ai gardé pour la fin ce qui fut toujours pour moi motif d’émerveillement. « Je t’attendais ainsi qu’on attend les navires »,  scandait le poète, célébrant avec une force proche de la souffrance la femme aimée, que le destin lui avait envoyée pour l’aider à vivre, et à mourir. Quand il écrit, parlant de sa vie : « … dans cette grande journée / je ne passerai pas pour un vieil abonné », une pensée le réconforte, qu’il formule comme un appel au secours : « Le temps qui m’est donné, que l’amour le prolonge. »  Depuis plus de 50 ans, Hélène Cadou concrétise ce vœu. Dans son activité au Centre Cadou de Nantes, dans sa vie quotidienne, à Louisfert l’été, dans son œuvre de poète, elle continue de faire vivre, survivre, celui qui, déjà malade, écrivait : « Abattez-moi comme un ormeau domanial au bord de la grande forêt rouge / Vous ne pourrez jamais rien contre ce chant qui est en moi ».

En mars 1951, le Père Agaësse de l’Abbaye de Solesmes avait dit, entrant dans la chambre mortuaire : « Je viens saluer un prince ! »

Quant à Cadou, n’avait-il pas écrit dans Usage interne : « Il faut être seul pour être grand. Mais il faut déjà être grand pour être seul »

La vie, la mort ; la mort, la vie. Et pour le poète : l’immortalité. Mais qui peut dire combien de temps durera cette survie de l’écrivain ?

                                                                             Claude Cailleau, novembre 2011

Merci au lecteur qui aura eu le courage de me suivre jusqu’à la fin de mon propos.

Les photos qui encadrent ce texte sont de Muriel Bergasa.

Vous les retrouverez  sur le blog    http://cerclealienor.blogspot.com/

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