( 23 mars, 2013 )

La lettre de mars 2013

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Au sommaire de cette page…

Le Cahier n° 19

« Je vous écris… » (Jean-Pierre Boulic, Michel Passelergue)

Autobiographie et poésie

Des voix nouvelles

Cocktail de vie

 

Les lecteurs de la Revue qui regarderont, en 4ème de couverture,  un aperçu des sommaires, pourront constater que nous n’allons pas au hasard ; ce n° 19 concrétise à nouveau les objectifs qui étaient miens lors de la création des Cahiers de la rue Ventura.  Je voulais parler de tous ces écrivains dont j’ai un jour croisé la route, et qui, un moment, ont échangé avec moi sur la littérature, leur travail (et le mien). Un devoir de mémoire, et de reconnaissance, que j’ai plaisir à honorer. Ces auteurs avaient un message à délivrer ; j’aimerais faire partager le bonheur que j’ai éprouvé à cheminer à leurs côtés.

Je vous écris… 

 

« Je vous écris de mes lointains, d’un horizon empli du sel des embruns ; je vous écris avec l’encre des souvenirs, de la pluie sur la joue, de la tendresse dans les lignes de la main… »

            (Je vous écris de mes lointains, Jean-Pierre Boulic, éditions La Part commune)

Je reprendrais bien à mon compte les mots du poète, moi, le Sarthois enraciné dans son terroir, mais dont l’ombre se promène toujours quelque part dans les rue de Port-Louis, sur le chemin du Lohic et dans les bars de Loc Malo.

Dans son livre, dont nous parlerons dans les Cahiers, Jean-Pierre Boulic a choisi d’utiliser la prose. Redirai-je qu’à notre époque où de soi-disant poètes (qui sont aussi de prétendus poètes, hélas) s’expriment en vers libres trop libres à mon goût, la prose pourrait bien sauver la Poésie.

Si vous ne l’avez déjà fait, lisez, de Michel Passelergue, « Les Lettres à Ophélie », un petit chef-d’œuvre paru il y a quelques années à l’Arbre à paroles . Peu cher, le livre : 9 €, auxquels il faut sans doute ajouter un ou deux euros pour couvrir les frais d’envoi.

Un magnifique exemple de poèmes en prose. Que Michel Passelergue me pardonne de ne donner ici que quelques fragments du poème liminaire…

«  Mes lettres … se lisent comme le journal d’une vie qu’on dirait imaginaire et qui m’appartiendrait à peine… C’est un message que l’on confie, glissé dans une bouteille, aux flots du temps… Je vous écris entre deux eaux, dans l’opacité ou la lumière, pour éprouver à la pointe de l’instant l’inquiétude de ce qui sera. Quand la rive s’éloigne, je m’abandonne au poids de la mémoire, je dérive parmi les algues et l’angoisse, je relève lentement mon filet d’images… J’inscris dans les marges ce qui demeure, ce qui brûle, ce qui passe, l’aujourd’hui, l’inextinguible ».

Je connais peu de poèmes qui puissent subir sans dommages les coupures que je viens de faire à celui-ci. Dans ses recherches, menées depuis des décennies, Michel Passelergue me semble bien être arrivé à une forme de perfection. Lisez les Lettres à Ophélie, c’est de la grande poésie !

Autobiographie et poésie…

 

Mes lecteurs le savent, je suis un fan d’autobiographie. Dans un ouvrage de fiction, plus que l’histoire m’intéresse celui qui se cache derrière les mots, à savoir l’auteur ; il a beau être prudent, son livre le révèle plus qu’il ne croit (lisez, par exemple, « Un instant de bonheur », recueil de nouvelles d’Yves Simon).

Il en est de même en poésie, y compris dans l’écriture objectale.

Il y a quelques années, à la demande d’un revuiste, j’avais écrit un texte que j’avais intitulé : « Autobiographie et poésie ».

Un recueil de poèmes ne se lit pas comme un roman ou le récit d’une vie, de la première ligne à la dernière. Vous l’ouvrez au hasard, vous tournez quelques pages, vous revenez en arrière. qu’importe que vous ne lisiez pas tout ? Chaque texte fait son chemin en vous, accroche un pan de votre mémoire, pour y loger son ferment. Longtemps le livre restera sur votre table, compagnon des moments de silence, de solitude.

Les poèmes sont des fragments ; comment pourraient-ils atteindre à l’unité, à la continuité d’une autobiographie ?

Mais de tout temps le poète a écrit pour parler de lui. Les événements heureux ou malheureux de son existence ont déclenché le besoin d’écrire, de se confier. A ce titre, le poème entre dans le cadre de l’autobiographie. Bien sûr, poésie oblige, notre auteur ne s’exprime pas comme tout le monde. Le lecteur, pour entrer dans le poème, a besoin parfois de clés que le poète ne lui donne pas toujours. Tardieu disait qu’il y a poésie chaque fois qu’un mot en rencontre un autre pour la première fois. On voit bien, à cette affirmation, que la langue du poète n’est pas celle de tout le monde.

Qui plus est, le poème ne s’engage pas toujours sur la voie de la narration, pas plus d’ailleurs que de la description traditionnelle avec ses exigences. Non : le poème louvoie. On croit l’avoir saisi, il se dérobe. Ce n’est pas un jeu. Plutôt une nécessité interne, ressentie par le poète de se dire, pour exprimer cette part d’ombre en lui qui brûle de s’extérioriser et en même temps se cherche. L’autobiographie fait mauvais ménage avec cette démarche. Du moins sous l’aspect que nous lui connaissons.

Pourtant, le poète nous parle de lui. Le matériau de son discours, c’est son être, sa vie.

Le vieil homme que je suis a plaisir à parler de son enfance. Une enfance en poésie, pas celle qu’il a vécue ; celle dont il veut se souvenir. Peut-être celle qu’il aimerait avoir vécue.

Dans mes mémoires, composées à la manière d’un puzzle, j’avais écrit :

 

Le petit va à l’école. Il descend la rue Saint-Nicolas. En retard, comme chaque jour. C’est qu’il a longuement discuté avec sa mère, supplié pour rester à la maison. Il veut bien, ne veut pas aller à l’école. Il sait qu’il sera grondé s’il arrive après le coup de sifflet. Le maître est violent. Les coups pleuvent parfois. Souvent. Le petit a peur ; pourtant il lambine, il traîne ses galoches et son cœur. La rue en pente conduit tout droit à l’enfer. Il déteste les maîtres. Il déteste l’école…

 

Terminant le premier tome de ces mémoires, j’ai ajouté :

Au moment de refermer ce premier cahier, le vieil homme a voulu emprunter la plume du poète, un autre lui-même… La langue s’est faite plus imagée, la phrase a pris un autre rythme, plus musical, peut-être, mais tout est vrai, cette fois encore, dans l’évocation de la petite école d’autrefois.

Tout… enfin presque : l’école des filles ne jouxtait pas celle des garçons ; mais de l’une, rue Gilles Ménages, à l’autre, rue Aristide Briand, il n’y avait que deux cents mètres environ. À la récréation, les cris suraigus des filles devaient répondre aux hurlements mâles des gars de la classe de fin d’études, en ce temps où les routes ne résonnaient que des claquements des fers des chevaux tirant les charrettes ou les carrioles.

École de campagne ? Peut-être pas tout à fait. Mais le tilleul et le marronnier ombrageaient bien la cour. Et Sablé n’était pas si grand à cette époque. La nature y pénétrait encore largement par les voies transverses. La campagne n’était pas loin Et l’école du poète n’est-elle pas un peu l’école du rêve ?

 

Je voudrais ajouter que (je ne me l’explique pas moi-même) le poète n’a retenu que ce qui faisait le bonheur de l’enfant, alors que l’auteur des mémoires insistait sur les peurs du petit écolier. Ce garçon-là n’aimait pas l’école, mais il aimait son école. Voici son rêve éveillé….

C’est un matin de juin. Le sang noir de l’aube sèche dans les encriers ? Un matin dans la vieille école de campagne où ne se meuvent plus que des ombres…

Le maître appelle les hirondelles pour la leçon d’écriture. Ce soir, les filles auront des hannetons dans les cheveux si le vent souffle du marronnier.

Tu peux croire encore aux hommes que tu croises, et que le bonheur est un mal qu’on attrape sans s’en apercevoir, comme la varicelle.

Les plumes qui accrochent le papier font de belles taches en étoiles. Tu souris : le bonheur est là, malgré le maître qui crachine en parlant (Prends donc un parapluie si ça te gêne !)

Les filles du village ont des lèvres cerise, fendues comme les fruits par le soleil ou le bec des oiseaux. Tu les vois à travers les murs, tu les entends, elles papotent (histoires de gamines)…

Par la fenêtre ouverte sur le printemps, c’est la vie qui entre à doux flots de vent tiède. Le tilleul de la cour pousse ses feuilles jusque dans la classe. Ses fleurs de miel embaument ton rêve et la leçon du maître.

Mais tu n’écoutes plus que la petite musique en toi, qui sourdine. Tu vis ! Le temps peut bien mener sa ronde impitoyable : tu as le temps. Tu as le temps !

 

Peut-on classer ce texte dans la catégorie « poèmes » ?  Oui, sans doute.  Avez-vous remarqué, senti, un rythme particulier dans le déroulement de la phrase ? L’essentiel est dans le non-dit, dans ce qu’un lecteur vigilant, lui-même un peu poète, découvrira entre les lignes, et les images qui en lui naîtront de cette découverte.

Mais la confidence est là, discrète. Si vous croyez l’avoir trouvée, le texte alors, pour vous, est bien un fragment d’autobiographie.

La « jeune poésie » s’invite dans la revue  

Dans son Itinéraire de Délestage n° 432, Claude Vercey parle de la collection Polder qui « offre à des auteurs une première chance de publication. Et de se demander : « Mais n’est-ce pas illusoire ? »

Non, sans doute, puisque trois poètes accueillis dans Polder voient leur talent confirmé par une deuxième publication chez des éditeurs qui n’ont pas pour réputation de publier n’importe quoi.

Et je suis heureux, quant à moi, que ces trois poètes soient venus frapper à la porte de nos Cahiers. L’un d’eux a déjà été publié dans le n° 15 et va l’être à nouveau cette année. Les deux autres sont aussi retenus pour un Cahier de 2013. Ils ont franchi le barrage du Comité, lequel ne s’en laisse pas conter.

Heureux je suis, bien sûr, que la jeune poésie entre dans ma revue  (voir mon article du n° 9, qui avait été repris dans le bulletin n° 70 d’Arpo.

Un peu de publicité pour ces poètes « nouvelle vague »… Je vous conseille de lire

de Guillaume Decourt, La Termitière (Polder n° 151) et  Le Chef-d’œuvre sur la tempe, Ed. du Coudrier,

de Jean-Baptiste Pedini,  Prendre part à la nuit  (Polder 153) et Passant l’été (Ed. Cheyne), Prix de la Vocation,

et d’Étienne Paulin, Tuf, Toc (Polder 145) et Extrême autrui (Ed. Henry)

Nous avons déjà parlé de « La Termitière » (Cahier 16). « Le chef-d’œuvre sur la tempe » est brièvement recensé dans le n° 19. Et nous parlerons prochainement de « Passant l’été ». Voulez-vous une des petites proses de ce livre, lesquelles, dans leur simplicité, renferment plus de poésie que beaucoup de poèmes en vers libres.

« Ce matin, rien ne se passe. Les persiennes sont fermées. Les bouches aussi. De petites échardes de lumière viennent se loger sous les peaux et l’on desserre les mâchoires. Tout est détente. Tout est farniente. Même les oiseaux ne se battent plus pour picorer les miettes de soleil. Rien ne se passe. Même dehors. On reste emmitouflé à l’intérieur de soi. »

(Jean-Baptiste Pedini, « Passant l’été, Cheyne Ed.)

 

 

Cocktail de vie, Claude Cailleau, chez Éditinter

Les lecteurs des Cahiers de la rue Ventura savent que je n’y publie pas ma poésie. Question de déontologie, et de modestie. La gestion d’une revue doit être un acte désintéressé. Si je proposais mes poèmes aux membres du Comité, je pense qu’ils les accepteraient par amitié, et je ne saurais pas si ces vers méritent vraiment d’être publiés. Je préfère proposer mes textes ailleurs. C’est toujours pour moi un examen de passage salutaire. L’écrivain est élève toute sa vie. De même, pour un auteur, se publier soi-même, c’est une forme de lâcheté, c’est fuir le jugement des autres…

Pour parler du « Cocktail », un texte d’Yves, compagnon de la première heure, un autre moi-même, très présent dans mes livres.

« Lauréat de l’académie Française pour son roman « Stef et les goélands » paru chez Julliard en 1971, Claude Cailleau est revenu à l’écriture au début du 21ème siècle. Sa bibliographie montre l’étonnante variété de son œuvre ; mais on se rappelle qu’il est l’auteur de la première  biographie du poète Pierre Reverdy. Aujourd’hui, il publie un livre étrange, qui rassemble des textes parus en revues et des inédits. Le lecteur trouvera là des extraits de ses mémoires, des poèmes, des fragments de romans, des études sur l’écriture et surtout des pages de son journal. Ensemble que l’auteur présente, commente, accompagne sur le ton familier d’une conversation entre amis. A lire, donc, comme un roman. Dans cet ouvrage savamment composé, on chemine en compagnie d’un personnage, l’auteur et, après une première lecture, il faudra revenir sur les pages émouvantes où il parle de ses vingt premières années, pour voir comment cette période de la vie a forgé non seulement l’homme, mais aussi l’écrivain, grand lecteur, qui dirige actuellement une revue littéraire, après avoir noué des relations durables avec de grands auteurs du 20ème siècle. « Cocktail de vie » fait le point sur une œuvre originale, qui flirte toujours avec l’autobiographie.

L’ouvrage est référencé sur les sites de vente : Amazon et Fnac. »

                                                                                     ( Yves Le Conseiller, février 2013)

Et la note de Michèle Lévy, texte que les abonnés des Cahiers retrouveront dans le n° 19.  C’est bien la première fois (que l’on me pardonne) que je me fais un peu de publicité dans ma revue…

 

« Cocktail de vie (Anthologie personnelle) » de Claude Cailleau, 152 p., préface de Jean-Marie Alfroy, Éd. Éditinter, 16 euros.

On se promène avec bonheur dans ce « Cocktail de vie » bien nommé -on peut en prendre une petite gorgée, puis une autre, puis s’arrêter, savourer et laisser agir le philtre…- et  l’envie vous vient très vite de désobéir au vœu de l’auteur, Claude Cailleau, qui écrit : « J’aimerais que mon lecteur aborde ce « Cocktail de vie » comme un roman, qu’il se laisse guider ». Car la liberté est contagieuse et cette « anthologie » originale, construite à la façon d’un puzzle, avec une réelle rigueur mais aussi une véritable liberté d’esprit, donne envie de la parcourir en tous sens pour mieux apprécier le charme qui s’en dégage. J’avoue que j’ai souvent faussé compagnie à notre guide qui pourtant avait sagement « prévu les étapes », comme un voyageur retourne sur ses pas pour revoir un paysage qui l’a touché ou intrigué.

Car ce « roman » qui n’en est pas un, ce journal dont trente années ont été perdues, brûlées au fond du jardin, cette autobiographie écrite d’une plume à la fois romanesque et poétique, ces mots entre prose et poésie mêlant souvenirs et fiction, témoignent d’une belle tentative de mémoire, pour sauver et lier ensemble, comme en une gerbe de vie, les moments d’une existence tout entière parcourue par l’amour des mots et de l’écriture.

Que vous préfériez choisir une lecture continue ou inventer vos propres chemins pour  une découverte  plus fragmentée, prenez votre temps pour parcourir  ce « Cocktail de vie » qui fera remonter en vous des ombres et des rêves, des silhouettes perdues ou retrouvées, en un jeu de miroirs incessant.

Comme si nos vies étaient ces poèmes dont on pourrait, « mêlant les vers, les strophes, […] construire des millions de poèmes » qui « évoquent les mêmes scènes d’une enfance perdue ». Comme si « Cocktail de vie»  déployait pour chaque lecteur un de ces millions de possibles…                                                                 

                                                                                        (Michèle Lévy, février 2013)

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