La lettre de mai 2013. Au sommaire…
Tarn en Poésie : deux jours avec Hélène Dorion.
Les Cahiers de la rue Ventura. Le n° 20 est en préparation.
Mes publications : trop de livres en même temps.
- Les 11 et 12 avril, nous étions à Albi, reçus par Arpo, pour couvrir les journées de Tarn en Poésie. L’invitée, Hélène Dorion, poète du Québec, a rencontré les élèves des lycées et des collèges d’albi et de Carmaux. De belles journées en poésie avec un auteur qui, malgré la fatigue due au décalage horaire, s’est montrée très disponible et a su passionner ses auditeurs en leur montrant que la philosophie n’est pas étrangère à la poésie. Nous avons admiré la facilité avec laquelle elle a adapté son discours à l’âge des élèves. De nous, qui la suivions de classe en classe, un peu comme des gardes du corps, enregistreur et carnet de notes en mains, elle a fini par dire que nous étions ses anges gardiens. Bref, des moments d’échange que nous n’oublierons pas de sitôt.
Le compte-rendu de ces journées paraîtra dans le n° 21, en septembre.
Sur la 2ème photo, à la droite d’ Hélène Dorion, Huguette, l’épouse du directeur des Cahiers…
- Les Cahiers, maintenant. Avec le n° 20, à paraître en juin, nous allons boucler la cinquième année. Et le directeur de s’interroger, de peser le pour et le contre, comme on dit. D’où une consultation des membres du comité. Continuer ? Oui, au moins jusqu’au n° 30, puisqu’un « fou » (bien sympathique au demeurant) s’est abonné pour cinq ans ; nous lui servirons le dernier numéro de son abonnement avec le n° 30.
Continuer, oui, mais avec la même ligne éditoriale ? le même fonctionnement ? Pour les textes, nous sommes arrivés à saturation. Quant aux services de presse, ils nous sont venus en tel nombre qu’une centaine de livres attendent un lecteur pour une note dans la Revue. Nous aimerions contenter tout le monde et c’est impossible.
Je veux donner ici un exemple des échanges de courrier qui se font dans le cadre d’une revue…
Le 9 janvier 2013, je reçois le mail suivant :
« Bonjour, Monsieur. Je suis un jeune poète de 20 ans qui recherche des personnes de bonne volonté qui accepteraient d’éditer son travail. Je suis étudiant et j’ai le dangereux rêve de faire carrière dans la poésie… » En pièce jointe : le manuscrit d’un recueil entier, des dizaines de pages.
Je réponds : « Votre démarche m’est sympathique, mais… je mets sur le compte de votre jeunesse le fait d’envoyer en recueil entier à une revue dont chaque numéro n’a que 62 pages… Si je peux vous donner un conseil, c’est de commencer par lire un numéro des revues avant d’envoyer des textes, afin de savoir si leur ligne éditoriale correspond à ce que vous écrivez. C’est sage et modeste à la fois : on ne plaît pas à tout le monde… »
Nouveau mail du jeune homme: « Merci beaucoup pour votre réponse attentive. C’est si agréable d’avoir au moins des réponses. J’ai eu si souvent l’impression que personne ne s’intéressait à ce que je faisais, alors recevoir un mail d’une demi-page, c’est miraculeux. »
Étaient joints cette fois quelques textes pour examen par le Comité. Pour le jeune homme, affaire à suivre, donc.
Mais revenons au Cahier 20…
Le lecteur y trouvera l’hommage à Gilbert Prouteau annoncé dans le 19, et les textes d’une douzaine de poètes. « Des écritures, des âges très différents. La variété, mais aussi le talent, sont au rendez-vous… Sur les douze poètes, il serait bien étonnant qu’aucun ne vous parlât : la différence est source de richesse. Certains de ceux que nous publions seront sans doute les poètes reconnus de demain. » (Fragment de l’éditorial du n° 20 à paraître en juin.)
Le parcours du (petit) écrivain – « Petit », je veux dire « inconnu » du grand public malgré plusieurs publications (auteur dont les livres sortent chez de « petits » éditeurs indépendants – et quel courage, pour eux, d’investir dans cette activité ! (Mais – le savez-vous ? – chez eux, on ne pilonne pas, on vend jusqu’à épuisement des stocks, au mieux, pendant plusieurs années.)
2013 devrait être pour Cl. Cailleau écrivain une belle année. Pourtant je n’arrive pas à m’en réjouir. (« Qu’est-ce qu’une vie sinon gagner du temps… et poursuivre vaille que vaille l’ineffable combat ? » – Alain Jégou, décédé récemment)
Pourquoi une belle année ? Parce que trois de mes livres paraissent en 2013. On confie un manuscrit à un éditeur. Il l’accepte et le publie quand il peut. Fragile, le budget d’une petite maison d’édition.
En 2012, j’avais confié à Éditinter cette anthologie pour laquelle j’avais fait un choix dans mes écrits de la dernière décennie (textes parus dans des revues et des livres). L’ouvrage est paru en janvier (« Cocktail de vie » propose des pages de mes mémoires, de récits, de romans, de poèmes, de mon journal et quelques textes de réflexion sur l’écriture.)
« C’est un peu comme si vous nous faisiez faire le tour du propriétaire avant de tirer votre révérence, comme si vous aviez voulu vous construire un mausolée avant qu’on le fasse pour vous, ou craignant peut-être qu’on le fasse à votre place. Cette intention un peu funèbre m’a accompagné pendant la lecture, me poignant le cœur », m’écrit un lecteur.
Je lui donne volontiers raison, retrouvant cette réponse que j’avais faite au questionnaire du « Choix des libraires » (elle est toujours sur la Toile) : « L’écriture est un témoignage contre le temps ; mais elle s’inscrit aussi dans le temps. Ainsi l’homme, par l’écriture, échappe au temps ».
Comme « Cocktail de vie », mon recueil de poèmes, qui vient de sortir en mars aux Éditions Écho Optique (« Sur les feuilles du temps ») résulte d’un choix, la plupart des textes ont paru dans des revues (Multiples, 7 à dire, Pages insulaires) Bilan en poésie car, en dehors de mon « Coup de dés » encore sur l’établi, je ne publierai plus de poésie. C’est dit.
Déjà, quelques lecteurs m’ont écrit après avoir feuilleté le livre…
« Parmi les poètes vivants que je connais, vous êtes l’un des rares qui font du vers libre l’outil adéquat à leur projet esthétique. D’abord parce que vous avez une oreille et que votre vers a toujours une cohérence sonore et rythmique… Ensuite, vous savez structurer votre prosodie par des procédés simples, mais très efficaces, comme la répétition, la réitération de certains motifs. J’aime beaucoup vos vers brefs, un peu haletants comme la respiration de certaines vieilles personnes, un peu déhanchés mais boitant avec élégance… »
On a envie de dire : n’en jetez plus ! Certains vont penser que la modestie n’est pas ma qualité principale. Tant pis ! Si je cite ce commentaire, c’est qu’il se trouve que l’auteur de la lettre reconnaît là un de mes soucis dans l’écriture de la poésie : la recherche, dans l’utilisation du vers libre, du moment où l’on doit aller à la ligne ; cette recherche devrait être le souci principal du poète, s’il veut que son vers chante, en accord avec le message qu’il délivre.
Et je comprends qu’il soit peu judicieux de vous proposer maintenant quelques extraits de ce recueil. Je m’y risque cependant, en espérant donner l’envie d’ouvrir le livre.
Auparavant, un fragment de la préface…
…Poète, mais aussi essayiste et romancier, Claude Cailleau affectionne récits autobiographiques, correspondances et journaux intimes – tous les écrits où l’homme transparaît à travers l’écrivain. Comment, par la grâce de mots jetés sur le papier, s’inscrire dans le flux temporel, circonscrire l’instant ou recueillir un peu des éclats de la mémoire ? … Aucune dérive métaphysique mais, au moyen d’une écriture sensible autant que transparente, l’émotion d’une poésie à hauteur d’homme, qui use avec bonheur des ressources traditionnelles du récit, du conte, voire de la chanson. Ainsi dans ces deux suites narratives, l’une à la tonalité féminine (« D’Elle question… »), l’autre modulant vers « Lui », suites qui conjuguent ampleur de forme et brièveté du vers. Porté par le rythme un peu haletant de phrases brèves ou brisées, de notations répétitives, …le poème nous introduit dans l’intime de qui se sent « au bout de vivre », tout en mêlant à son récit, en une savante polyphonie, les voix de poètes admirés (Apollinaire, Queneau, Musset, Prévert, Mallarmé). Les voix du temps, entremêlées, contrepointent passé et devenir sur l’ostinato d’un « bel aujourd’hui » toujours fuyant. Chacune de ces voix semble apporter un écho fraternel à celle d’un poète qui sait mesurer l’expression de « l’âpre angoisse de vivre ». Au « Dialogue intérieur » et aux « Bribes » conclusives du livre de nous dire sobrement la fragilité de l’être et la ténuité de ces voix qui s’obstinent à ranimer l’espoir d’un feu inextinguible : « Il faut toujours aller à la ligne. »
Michel Passelergue
Et voici, de mémoire, des extraits de « Narratif 2 »
…S’en va sur le chemin,
la vieille silhouette.
Chancelle au vent mauvais…
… Et refait le parcours
(une vie à jauger).
Tremble, avance deux pas.
Trois pas, c’est trop de deux déjà.
Une horloge le suit,
fragile. Ô le silence
qui gît dans l’or du balancier !
Et fouille dans ses jours.
Fouille au tréfonds,
dans l’inconnu de l’être.
Vienne la nuit
Sonne l’heure
(C’est Guillaume qui pleure).
Ainsi va le bonhomme
dans l’automne qui meurt…
… La chancelante silhouette
radote ses gestes,
courbée sous le vent
qui effeuille ses jours…
…Il est loin le vieux pont,
le vieux pont sur le fleuve,
où les amants s’aimaient.
Guillaume Apollinaire,
La Seine coule sur tes vers…
…Et pleure Guillaume.
Se rappelle la robe noire,
tranquille. Elle qui marche.
Gréco : lunaire silhouette,
sur la scène,
dans la lumière.
Le deuil à fendre l’âme
chante grave dans son rire.
Silencieuse soudain.
Désabusée. Puis tire
sa révérence. Adieu, Madame…
…Penché sur l’eau
foisonnante, le vieux
défie les jours.
Défile sa rengaine,
de la plume qui saigne
ses mots morts sur la page.
Chemins perdus
où la vie s’égare.
Les quais de gare
où c’est toujours l’automne…
…Ah, Prévert !
Ton cancre de lumière,
dans l’aube des lampadaires !
… Une fille venait.
Vers toi qui t’en allais.
Tu te rappelles, Barbara…
Abritée sous un porche…
Quand la pluie et Prévert
se racontaient la guerre,
le sang noir sur la mer.
La joie évanouie. La guerre…
… Le peintre a posé ses pinceaux.
Essuie ses mains à son passé.
Les rues racontent, et les ponts.
Et la Seine sereine
épouse son histoire…
Voilà. Des fragments. De mémoire, parce que ces vers chantent encore dans ma tête. Avec quelques variantes, sans doute, par rapport au poème que le lecteur trouvera dans le livre. On n’en a jamais fini avec le texte, toujours à essayer, lorsqu’on le relit, de dire mieux, de dire plus. C’est ce que j’ai tenté de montrer, en 2011, dans le dépliant « Traces », dont certains se souviendront.
Où trouver « Sur les Feuilles du temps » ? Chez l’éditeur (Echo Optique) ou chez « Les Amis de la rue Ventura », 9 rue Lino Ventura, 72300 Sablé-sur-Sarthe. L’association en a un petit stock. Prix : 10 € , port compris.
À force d’écrire, le poète finit par se répéter un jour, par radoter – signe évident d’un début de dégénérescence mentale. Aussi ai-je dit plus haut qu’après mon « Coup de dés », je n’écrirai plus de poésie. Et tant pis pour moi si je n’ai pas su – ou pu – me hausser au rang des poètes reconnus dans la capitale.
« Quelles solutions pour que la poésie soit davantage lue ? » me demandait un jeune poète dans son mail du 17 avril.
J’ai répondu : « … il faut peut-être remonter à Mallarmé. Les gens ne lisent pas la poésie parce qu’ils n’en voient pas l’intérêt. Souvent, ils ne la comprennent pas. Beaucoup de poètes, pour percer, choisissent l’hermétisme ou l’artifice. Cela donne des écrits sans âme. Quel intérêt peut trouver le lecteur à patauger dans des textes secs, sans émotion ? Je conseillerais bien aux poètes de lire à haute voix (la poésie est faite pour être entendue) leurs textes à leurs proches. Et, s’il n’y a pas d’écho, de tout jeter à la corbeille. Mais ce serait faire preuve de mauvais esprit.
Oui, mais, disait Candide, il faut cultiver notre jardin…
Cl. C. (Sablé, 13 mai 2013)