9 avril 2014 – mon printemps de la poésie
Les Cahiers de la rue Ventura
N° 23
Dossier : Bernard M.-J. Grasset
Textes de
Geneviève Roch, Bernard Grasset,
Françoise Nicol, Jean-Claude Coiffard,
Éliane Biedermann, Jean-Pierre Boulic, Pierre Kobel, Gérard Paris, Colette Nys-Mazure, Gérard Bocholier,
Eva Gentes, Éric Simon, Jean-Louis Vieillard-Baron, Jean-Paul Resweber
Vers et proses de
Jacques Lardoux, Yves Le Marchand, Olivier Massé, Jacqueline Persini-Panorias, Monique Saint Julia,
Arnaud Talhouarn, Bruno Thomas
Des jours entre les mots (Journal de traverse 2) par Michel Passelergue
La chronique de Jean-Marie Alfroy
(Un chant du cygne à Copenhague)
Et les notes de lecture
Imprim’photo
En mars, le 15, j’étais à l’Herbaudière, en l’île de Noirmoutier, où, dans le cadre de la semaine de la francophonie, je donnais une causerie sur le thème « Poésie et autobiographie ». Propos illustré par des lectures (textes de Montaigne, J.J. Rousseau, Hugo, Marie Noël, Jean-Claude Pinson, Queneau, René Guy Cadou, etc.)
Le 22, je tenais le stand d’un de mes éditeurs, le Petit Pavé, au salon de poésie de La Suze, où j’ai eu la surprise de me faire interviewer par Christophe Jubien, pour une radio. Le motif ? ma revue. Occasion de rappeler que les Cahiers de la rue Ventura se portent bien. Très bien même, puisque nos abonnements ont augmenté. Le n° 23 a été tiré à 160 exemplaires. Dans ce numéro (voir ci-dessus) un important dossier Bernard Grasset. Et l’annonce d’un changement prochain dans la Revue.
le 24, invité par deux clubs de lecteurs du Mans et de Sablé, j’officiais à Solesmes. Le matin, j’emmenais le groupe (une trentaine de personnes) sur les pas de Reverdy. Et l’après-midi, je répondais à leurs questions concernant mon Cocktail de vie paru en janvier 2013 chez Éditinter. Un passionnant échange sur l’écriture des poèmes, car il semble que ce soit la poésie qui ait intrigué le plus grand nombre de lecteurs.
L’anthologie Cocktail de Vie est toujours en vente chez votre libraire ou sur Amazon.
L’autre jour, fouillant dans des dossiers, je retrouve un texte que m’avait adressé mon ami Jean Billaud. Il me proposait de le publier dans les cahiers de la rue Ventura. Ce devait être en 2010. À cette époque, pour des raisons de déontologie, j’évitais de parler de mon travail littéraire dans ma revue. Mais, conseillé par quelques amis (qui m’ont remontré que mes confrères ne s’en privaient pas), j’ai commencé à publier quelques notes de lecture sur mes livres et personne n’a protesté. Au moment où jean-Marie Alfroy prend peu à peu les commande des CRV (il sera entièrement en charge des sommaires à partir de l’été 2014, et déjà, c’est lui qui, dans le n° 24 sera l’auteur de l’éditorial et choisira les poèmes à publier), j’ai décidé, avec son accord, de me réserver une page dans chaque numéro, pour continuer de participer à l’Aventure. Peut-être devrai-je négocier pour avoir deux pages sur les 62 de chaque numéro : je suis plutôt de naturel bavard. On verra…
J’ai un peu perdu le fil de mon discours, excusez-moi. Je voulais introduire le bel article que Jean avait rédigé sur mon Roman achevé, un livre paru aux Éditions du Petit Pavé en 2009. Je lui laisse la parole (si l’on peut dire).
Le Roman achevé de Claude Cailleau (Le Petit Pavé, 2009)
« Quel regard le lecteur portera-t-il sur ce témoignage ? » se demande Claude Cailleau au terme de sa préface. Cet article voudrait apporter une réponse.
Il s’agit bien, en effet, d’un texte qui témoigne, avant de se poser comme poème. Le Roman achevé (clin d’œil à Aragon) s’affirme d’abord comme une œuvre à tonalité philosophique, métaphysique, façonnée par un lyrisme discret et contenu. Il s’interroge sur des questions essentielles : le temps, l’espace, la vie, la mort, les autres… Mais c’est l’enfance qui surgit, dans un miroir déformé, ou le miroir qui revient (dixit Robbe-Grillet) d’une enfance déformée dont il ne reste que des bribes qu’il faut saisir, puis organiser pour retrouver, avec l’authenticité perdue, l’unité de son moi.
La nostalgie sert de moteur à la recherche.
Dans ce « poème-fleuve » (l’expression est de Claude Cailleau), les mots agissent pour attraper les choses, les piéger dans leur réalité. La mémoire se voit investie d’un rôle primordial : rappeler cette réalité afin de l’ajuster aux mots – ou le contraire. L’adulte s’adresse à l’enfant, le tutoie : « Où donc es-tu ? », « Tu as perdu ton temps », nous soulignons pour indiquer le double sens possible du verbe « perdre ». Temps perdu, donc à retrouver, comme chez Proust, ou temps gaspillé, pour le poète vieilli, qui détient les mots, à la reconquête d’une enfance à capturer. Les mots, instruments imparfaits chargés du pouvoir de dire, suffiront-ils pour ressusciter, dans leur intensité et leur complexité, ces moments enfouis de l’enfance ? Pour cela seize suites, en versets fondés sur un double jeu : présent / passé et adulte / enfant. « J’écris pour le futur, lorsque plus rien de nous… », quand le livre, déniché quelque part, sera de nouveau dans le courant du temps.
Le poète se croyait placé devant un entonnoir par lequel le flot des souvenirs allait se libérer. Au lieu d’entonnoir, un filtre, à cause du vide installé, qui diffuse au compte-gouttes. « Les morts ne parlent plus », « l’enfant ne parle plus », il s’éloigne même, « silhouette menue emportée par le temps ». La densité du texte, la force de l’expression, les accents de vérité, rendent angoissante cette plongée nostalgique et désenchantée dans les linéaments et les commencements de soi, surtout si vous êtes parvenu, comme le poète, « aux portes de l’absence ».
Écoutons le texte, qui bruit en nous comme la rivière de notre enfance :
« Pour moi, le soir c’est maintenant. Nul ne répond lorsque j’appelle. »
« Mes chiens le savent, qui passèrent dans ma vie et me regardent, douloureux, sous le verre, quelque part dans le temps ».
Les matins d’octobre ont un goût de cendre (…) mais nous ne sommes plus de ce temps-là. »
« J’aimerais revenir à ce temps de l’école. »
Sommes-nous donc déjà au soir alors que l’aube point à peine ? »
« Tous ceux qui ont vécu en nous, les savons-nous encore ? » Etc.
La réussite, peut-être, de cette entreprise archéologique serait de faire de l’enfant de « jadis » un enfant de « naguère », proche d’un narrateur qui le restituerait dans sa gloire d’alors en marchant le moins possible « dans la vie d’un autre ». La mémoire se bat, en effet, contre ce temps qui a passé trop vite, a « nettoyé l’espace », et sauté « soixante ans ». La poésie, grâce aux images, sauvera de l’oubli quelques moments parfaits qui plairont à l’auteur et apaiseront sa nostalgie. Comme ce « retour » à la mer, « au Port-Louis » (sous-titre du livre) :
« Moi, je voyais le soleil assis sur l’horizon, veillant l’île de Groix prête à appareiller. La vague pleurait à nos pieds une musique sourde aux mots… »
Il évoque le chemin du Lohic, qui domine la mer… Il est cet « enfant de la haute mer », cher à Supervielle, plein d’avenir, chargé de rêves et d’espérances comme l’atteste ce double alexandrin : « L’enfant allait pieds nus dans les couloirs du vent, / des ailes de désirs à ses haillons de rêve ». Nous marchons dans les pas de l’enfant, avec nos rêves échevelés.
Le Roman achevé invite à un voyage impossible que, seule, l’écriture peut, en partie, réaliser, bien que l’encre « ait séché sur la plume ». Voyage dans l’espace parmi les rêves d’un enfant habité par « une ville lointaine », par « le grand Sud » ; enfant rimbaldien remontant des « fleuves impassibles » et emporté par des « péninsules » à la dérive ; enfant peuplé de voyages « au long cours » et « sans retour ». Voyage, aussi, dans le temps, à la recherche de ce précieux passé que les peupliers abattus de la rivière ont dénaturé ; cette enfance à jamais abolie, ultime point d’ancrage d’un homme que le temps a blanchi et qui répète, comme un leitmotiv, « j’ai vieilli ».
« Mais qui rejoindrai-je, dans ce passé qui ne me répond plus ? Il faudrait remonter la rue de notre enfance, un cours d’eau qui s’égare dans le vallonnement du temps. »
Nous essayons, avec l’auteur, de capter et de retenir ce que la mémoire nous laisse. Car, ce rendez-vous avec soi est surtout un rendez-vous avec la mort : la mort de l’enfant qu’on a été, la mort des autres, sa mort inéluctable.
Mais, le « Roman… » n’est pas achevé pour autant, il ne l’est pour personne. Il peut, par magie, abroger la mort définitive, comme redonner existence au père du poète, avec son « couteau de labeur » et ses « rencontres d’amitié », et même à cette vieille femme qui « dort au cimetière », oubliée de tous. Il offre aussi le plaisir de cheminer aux côtés d’illustres compagnons d’écriture dont les mots, en se mêlant à lui, ressuscitent et régénèrent le vécu. Et nous nous rappelons, et nous revoyons nos proches et quelques-uns de ceux que nous avons croisés.
Si la quête se révèle imparfaite, le poète se sera, au moins, donné le plaisir d’un texte, greffon sur le temps et l’espace, duquel le lecteur, à son tour, pourra tirer profit. Devant le « vide papier », il a le pouvoir d’illusion du magicien : de faire en sorte que l’enfant qu’il a été vienne hanter ce lieu sacré qu’est le Port-Louis et de donner ainsi à son être toute la plénitude à laquelle il aspire.
L’entreprise était hardie et dangereuse. À vouloir jouer à Dieu, on risque de sombrer dans les profondeurs du temps. Heureusement, un brin de vanité peut sauver du naufrage. Vanité paradoxale, mais nécessaire, qui permet à Claude Cailleau d’être satisfait d’avoir, aussi, écrit pour le futur et, par conséquent, assuré une forme de survie… (Quand « la main (…) d’un enfant… feuillettera le livre. ») ; mais, c’est au présent que la réussite est flagrante : peu à peu, sans qu’il y prenne garde, le lecteur se laissera immerger jusqu’à se surprendre à vivre quelque chose qu’il n’a pas écrit et qu’il reconnaît comme lui appartenant.
La voie est maintenant tracée et balisée. Il reste à de nombreux lecteurs le loisir de l’emprunter, Le Roman achevé, inachevé pour eux, est aussi « leur » livre. Un livre d’une poésie choisie et délicate qui touche la sensibilité et mène à la réflexion.
Jean Billaud (Mai 2010)
Claude Cailleau, Le Roman achevé, poème, Éd. du Petit Pavé, 92 pages, 8 €
Et maintenant, à La Suze, un salon ouvert de 10h à 22h. Il fallait bien survivre. À côté des nourritures intellectuelles, une petite place pour un repas pris « à la sauvette » ; mais le photographe était là, aux aguets. La photo, c’est ce qui s’appelle être pris sur le fait.