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( 31 juillet, 2014 )

La lettre de juillet 2014

Il y a quelque temps, je rangeais de vieux numéros d’Aujourd’hui Poème, périodique littéraire au format d’un journal, qui paraissait au début du siècle, et je tombe, page 3, sur un poème qui, tout de suite me parle. Je relis…oui, j’y trouve bien la petite musique qui, pour moi, relève de la poésie. Et je constate que l’auteur ne m’est pas inconnu.

Un petit échange de mails et l’auteur accède volontiers à ma demande. Voici donc, pour introduire cette page,

L’arbre aux poètes

Les poètes

                (pauvres rameaux !)

sont bien malades

sur leurs branches.

 

Même les oiseaux leur préfèrent

la compagnie des singes

et le jacassement

continu des bécasses.

 

À chaque coup de vent

l’un d’eux tombe de l’arbre ;

ça fait un bruit de feuille

les jours d’enterrement.

 

À peine si l’on voit

frissonner les fougères.

 

                   Jean-Pierre Thuillat

 

***

Un blog n’est pas un site. Plus de spontanéité, de naturel, de familiarité ; mais un défaut : les pages s’accumulent, de mois en mois et, si l’on veut consulter une page ancienne, il faut faire défiler toutes les autres. Le lecteur peu motivé s’énerve et prétend ne pas trouver ce qu’il cherchait.

Le problème vient de notre vie actuelle : nous sommes tous des gens pressés. Bien que retraité, donc plus libre de gérer mon temps, je comprends le souci de ceux qu’un travail alimentaire retient longtemps hors de chez eux.

Mon blog est un peu le reflet de mon activité intellectuelle, encore que … l’essentiel soit ailleurs, dans ce Journal, très mal nommé puisque je n’y écris pas tous les jours, mais plus favorable à une réflexion que l’on préfère garder secrète un moment. Des confidences, on en fait cependant sur son blog. Celle-ci, par exemple : de même que je vais cesser d’écrire de la poésie (après un dernier poème, encore sur l’établi, et que j’ai intitulé provisoirement – je sais : c’est immodeste – « Mon Coup de dés »), je n’écrirai plus sur la poésie. Peur de radoter, de lasser. Du reste, qui peut prétendre avoir les compétences pour juger de la qualité d’un poème ?

Oublions tout cela. Si le poème me retient, m’incite à revenir en arrière, à relire pour retrouver l’émotion qui s’est glissée en moi à mon insu et le plaisir inanalysable d’un partage, d’une communion, bref : si le poème me parle, alors… peu importe qui en est l’auteur. L’impression d’un dialogue domine, et c’est comme si le poète était un ami avec lequel je poursuivrais une conversation entamée voilà longtemps.

C’est ainsi que, depuis un mois je dialogue avec Philippe Jaccottet à travers son œuvre groupée dans le Pléiade paru cette année. En 1991, le poète avait répondu à une enquête sur la poésie que lui proposaient mes élèves. Je n’ai pas tenté de prolonger le dialogue, conscient que je ne serais pas, pour lui, un interlocuteur bien intéressant. Je le regrette aujourd’hui, je sais que j’aurais eu beaucoup à apprendre.

D’un de mes poèmes arriverai-je à dire un jour : « Ce n’est pas moi qui ai tracé toutes ces lignes / mais, tel jour, une aigrette ou une pluie, / tel autre, un tremble, / pour peu qu’une ombre aimée les éclairât » ?

(Philippe Jaccottet, dans Cahier de verdure)

 

« Sauver la Poésie », mon texte de juin, m’a valu plusieurs réactions. En voici une, que son auteur m’autorise à publier ici. Je l’en remercie.

Message du 9 juillet, 16h20

Cher Claude Cailleau,

j’ai lu les pages publiées récemment dans votre blog, et je m’étonne un peu (beaucoup) de la constance avec laquelle vous revenez sur cet inépuisable sujet du vers libre, des poètes qui ne savent pas quand ils doivent aller à la ligne.

Méritent-ils (et leurs œuvres ) qu’on leur attache autant d’intérêt ?

Ne devraient-ils pas savoir que le vers libre n’est pas seulement question de coupes syntaxiques et d’unités grammaticales, mais question de rythme, de souffle, d’inspir, d’expir, de silence imposé à la voix, de suspens, de repos, de temps forts, de temps faibles, de syncope, de martèlement, de tam-tam, d’eurythmie, de cadence, de références à la prosodie traditionnelle, de musique « avant toute chose » ?…

Ne savent-ils pas cela ? Ne s’en doutent-ils pas ? Ne se sont-ils jamais interrogés là-dessus ?… Alors laissons-les s’interroger sur le moment où ils doivent aller à la ligne (incitons-les même à aller pêcher à la ligne) et lisons des choses plus sérieusement écrites. Par exemple ces vers de Jacques Depreux :

La mort est ton jardin

ta saison est la nuit

- la longue nuit des tombes sous la mer -

et ta main m’y conduit sur le sable du soir

Je me souviens d’une autre plage

et d’un matin

plus vaste que le jour

je me souviens d’une autre larme et d’un sourire

ancien sur l’hélice de l’aube

 

Ou ceux-là de Charles Dobzynski :

Il est mien, ce pays

Par la lèvre et la veine

 

J’y revis mes racines

Le feu rouge des ères

 

Sur chaque pierre brûle

Ma mémoire et mon nom

 

Cette terre est le livre

Où ma parole est d’herbe

 

Mon Dieu naquit du blé

Son feu mon seul miroir

        me reconnaît

 

En ce qui concerne les vers comptés et rimés selon la prosodie traditionnelle, et ces vers qui, selon vous, sont « de la prose », je pense, si vous me le permettez, que la question est mal posée.

Vous dites que les vers de Baudelaire La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse, etc, sont de la prose rimée. Soit. Mais à l’aune de ce jugement, j’ai du mal à voir si

Mignonne, allons voir si la rose, etc, c’est aussi de la prose rimée, ou si

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, etc, c’est encore de la prose rimée, ou si

Frères humains, qui après nous vivez, etc, ou

Je meurs de soif, auprès de la fontaine, ou

Dictes-moi ou, n’en quel pays, /Est Flora… c’est toujours de la prose rimée . Et est-ce que

Je vis, je meurs : je me brûle et me noie, de Louise Labé, c’est encore de la prose rimée ? Et

Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, c’est toujours et encore de la prose rimée ?… On pourrait ajouter mille exemples encore… A ce compte, il faudrait mettre presque toute la production poétique des siècles passés dans la corbeille de « la prose rimée » !

En fait, la question est mal posée, je pense, parce que vous placez, ce me semble, le curseur de votre jugement à partir de la poésie « moderne », disons Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire… Reverdy… semblant oublier malicieusement que la poésie qui a eu cours pendant les siècles précédents obéissait à des règles syntaxiques, recourait à des images, à des procédés métaphoriques et à des systèmes d’écriture poétique différents de ceux qui ont eu cours à partir de, ou après les poètes cités ci-dessus.

C’est comme si vous jugiez (pardonnez-moi cette comparaison) les anciens moyens de transport, la marche à pied, le cheval, la charrette à bœufs, la diligence, la malle-poste, à partir du train à vapeur ou du T.G.V.

Mais la poésie, dans les siècles précédents, se pensait, se concevait et s’écrivait différemment et, en effet, elle avait souvent, syntaxiquement à voir, avec la prose, parce que notre « modernité » poétique n’était pas encore passée par là. Vous voudriez que Baudelaire écrivît comme Apollinaire ou Reverdy ! Comme si, dans l’écriture poétique qui a traversé les siècles, il y avait une sorte d’essence intangible, de manière d’écrire qui eût été la VRAIE poésie. Mais la poésie, comme vous le savez, est multiforme, et la forme importe moins que l’esprit poétique qui s’en dégage.

Mais, pour aller dans votre sens, allez, dirais-je que :

C’est un trou de verdure où chante une rivière, ou

Ce toit tranquille où marchent les colombesetc, ou

Un soir de demi-brume à Londres/Un voyou qui ressemblait/A mon amour vint à ma rencontre/Et le regard qu’il me jeta/Me fit baisser les yeux de honte, ou

Sauras-tu jamais ce qui me traverse/Qui me bouleverse et m’envahit d’Aragon, ou

La salamandre surprise s’immobilise/Et feint la mort, d’Yves Bonnefoy, c’est aussi de la prose rimée ou versifiée ?…

Voilà quelques réactions en vrac, qui vous agaceront peut-être mais qui n’ont pour seul but que de nourrir le débat.

Très cordialement.

Michel

> Message du 09/07/14 16:28

 

> Cher Michel

>

> Merci d’avoir réagi à mon “Sauver la poésie ?” Je rends volontiers les armes, ne pensant pas être un spécialiste en poésie. Pas au point de pouvoir donner des leçons.

> Ce texte, c’est seulement la réaction d’un revuiste qui voit tomber dans sa boîte de prétendus poèmes qui lui paraissent relever de l’artifice.

> Je pense que beaucoup de ceux qui écrivent en vers libres actuellement vont à la ligne pour écrire en vers.

>

> J’ai dit quelque part, sur un guide destiné aux enfants, que pour moi (pour moi), la poésie se traduit par des images (elle donne à voir), un rythme, des sonorités, une musique (elle donne à entendre).

> Je sais, c’est simpliste, mais je pense que le rythme est très souvent lié à la syntaxe.

>

> Et je redis que…

(Ici, des vers d’un poète éditeur bien connu, qui se publie lui-même – passage censuré…),

c’est n’importe quoi.  Je n’aurais pas pris ça dans ma revue.

>

> Me suivrez-vous si je dis que, dans les poèmes de Ronsard, Heredia, Villon, Louise Labbé, Nerval que vous citez, c’est la syntaxe qui donne un rythme et justifie l’appellation de vers?

>

> Ce n’est pas moi qui ai relancé le débat sur l’utilisation du vers libre, mais Claude Vercey dans Décharge. Et il vient de faire écho à mon texte. Il faut croire que quelques poètes font réflexion sur leur conception de l’écriture de la poésie. C’est réconfortant. Nous recevons tant de choses impubliables.

>

> Je peux, si vous acceptez, éditer votre réponse sur mon blog. Vous me direz.

> Mon “Sauver la poésie ?” sera le dernier texte que j’écrirai sur le sujet.

 

> Bien à vous,

> Claude

 

Mon correspondant ayant accepté que je publie son message, je l’ai édité ici pour servir la cause de la poésie, avant de retourner à mes modestes activités de revuiste. Je n’écrirai plus sur le sujet.

 

Les textes du CRV 25, préparé par Jean-Marie Alfroy, le rédacteur en chef, nous sont arrivés il y a quelques jours. Huguette, la secrétaire de la Revue, a terminé la mise en page et nous donnerons le fichier à l’imprimeur à la fin d’août. Le numéro sera envoyé aux abonnés au début de septembre.

Vous y trouverez un beau dossier intitulé « Chanter la poésie », des poèmes, une page d’enfance originale, avec l’émotion à fleur de mots, un regard sur trois auteurs dans la rubrique « Lire et relire », la revue des revues, et un dernier salut à une grande Dame qui, pendant plus de 60 ans, a fait vivre dans nos mémoires le souvenir d’un poète mort à 31 ans. Hélène Cadou a rejoint René sur les hauts chemins de la poésie.

Achevé ce 29 juillet, alors qu’il commence de pleuvoir et qu’au jardin, le vent emporte les pétales des roses défleuries.  (Claude Cailleau)

« Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame.

Las, le temps non, mais nous nous en allons,

Et tôt serons étendus sous la lame », écrivait Ronsard il y a bien longtemps.

 

Les trois photos… le passage du temps ! Avant, il faudrait placer celle qui figure au dos de mon récit Et je marche près d’elle ; et après, le dessin de Jacques Basse, que vous retrouverez en 4ème de couverture de mon anthologie Cocktail de vie )

Que passent les heures ! / Les fleuves vont à la mer, / et nous dans le temps.  (Cette fois, c’est de moi, et je vous salue bien.)

Photos Claude

( 2 juillet, 2014 )

La lettre de juin 2014. Au sommaire…

Un dernier rappel.

Des nouvelles du premier semestre.

Un ultime morceau de bravoure : « Sauver la poésie ! »

Une présence dans l’obscurité du bureau…

Et, pour finir, un salut à l’ami Florent.

 

 

Nouveau rappel, pour le bon fonctionnement des CRV :

Si vous souhaitez nous proposer des textes pour la revue, vous devez les adresser au rédacteur en chef :

Jean-Marie Alfroy  – 6 rue du Nivernais  – 18000  BOURGES

jm.alfroy@orange.fr

Les commandes et les abonnements sont toujours reçus chez

Les Amis de la rue Ventura

9 rue Lino Ventura

72300  SABLÉ-SUR-SARTHE

 

Bonjour à ceux qui ont la curiosité de s’intéresser à mon blog…

Alors que commence le second semestre de 2014, un premier bilan, plutôt satisfaisant…

Le transfert de responsabilités dans le cadre de la Revue s’est bien passé.  Les auteurs ont pris l’habitude d’envoyer leurs textes au rédacteur en chef. Dès le Cahier 25, le sommaire sera entièrement l’œuvre de Jean-Marie Alfroy.

Le Cahier 23 (dossier Bernard Grasset) a connu un beau succès. Le tirage de 160 exemplaires s’épuise peu à peu ; il ne nous reste que quelques exemplaires qui seront sur notre stand à Rochefort.

Pour le 24 ( dossier Pierre Garnier) nous avons augmenté le tirage afin de répondre à la demande des nombreux amis du poète. Le numéro sera aussi au Marché de la Poésie de  Rochefort sur Loire les 5 et 6 juillet. On y honorera Pierre Garnier au bistrot des poètes.

Ne disait-il pas : « Écrire des poèmes, c’est conjurer la mort. Chaque poème m’a toujours semblé une stèle » (propos rapporté par Francis Krembel sur le dépliant du Marché).

 

CRV 24

 

Le dossier : Pierre Garnier

Textes de

Patrice Coadou, Pierre Dhainaut,

François Huglo, Francis Krembel,

Isabelle Krzywkowski, Jacques Lardoux,

Martial Lengellé, Jean-Baptiste Para,

Jean-Louis Rambour, Lucien Wasselin

 

Vers et proses de

Jacques Allemand, Monique Christofilis,

Jacques Lardoux, Khalid El Morabethi,

Geneviève Roch, Françoise Vignet

 

Une page d’enfance de Jean-Pierre Majzer

Des jours entre les mots, de Michel Passelergue

Et la revue des revues

 

 

Après avoir beaucoup écrit et publié, j’ai décidé de ne plus m’aventurer sur les chemins de la poésie. Mon avant-dernier poème vient de paraître dans la revue 7 à dire. Il a pour titre « Miroir brisé » et est dédié à PH. J.  l’étoile discrète ». Ceux qui me suivent depuis un moment devineront qui se cache derrière ces initiales.

Ensuite, il y aura un long poème (encore sur l’établi). Composé d’une seule phrase, cet ultime message en vers s’étire actuellement sur 25 pages ! Un exploit comme un autre. Le plaisir pour l’auteur d’explorer un univers, celui de son temps personnel. En hommage au Maître, je lui donne (provisoirement) pour titre : Mon coup de dés . Lorsqu’il me semblera que je ne peux plus rien pour ce poème, une page sera tournée.

 

Au dernier trimestre de l’année 2013, Claude Vercey posait la question : « Pourquoi aller à la ligne ? » J’aurais voulu réagir ; le temps m’a manqué. Mais, aux commandes d’une revue depuis six ans, j’avais reçu tellement de textes prétendus poèmes par leurs auteurs et qui, pour moi, n’avaient rien à voir avec la poésie, que jour après jour j’ai commencé à écrire…

Le texte, le voilà. Je lui ai donné pour titre

Sauver la poésie ?

 

         – Êtes-vous poète ? lui demandai-je.

         – À plus d’un titre, répondit-il 

                                                 (Claude Vercey)

Quand, en 2008, j’ai créé Les Cahiers de la rue Ventura, je ne pensais pas qu’ils allaient fournir à mes recherches sur l’écriture de la poésie, un prétexte pour tenter d’éclairer ce qui a toujours été pour moi une énigme : quand peut-on dire d’un texte  « Voilà de la poésie » ?

Directeur d’une revue littéraire, je reçois beaucoup – trop – de textes que leurs auteurs appellent poèmes – « vers disloqués, squelettiques, embryons de messages avortés, délires de fonds de tiroirs », écrivais-je dans un article du n° 9, en août 2010. Mon jugement n’a pas changé.

Comment persuader ces auteurs que le poème ne vient pas tout seul, comme le croient certains, qui se disent poètes. Cet été-là, les enveloppes tombaient dru dans ma boîte à lettres, contenant des liasses de feuillets sur lesquels s’étiraient des vers brefs, à la limite de l’inexistence, composés de deux ou trois mots, un seul parfois, comme si leur auteur manquait de souffle pour aller au bout de la ligne. Et toujours, sans modestie excessive, la formule qui me faisait bondir : « Je vous envoie des poèmes pour votre revue. » (Comme s’il était évident que nous allions publier le chef-d’œuvre. Quand le Comité de lecture m’avait donné un avis négatif, j’écrivais aux soi-disant poètes, leur annonçant toujours le refus avec courtoisie, leur conseillant de travailler, parfois de s’adresser à une revue que je savais plus ouverte que la nôtre. Beaucoup m’ont remercié de ma gentillesse (c’est le mot qui revenait souvent). Deux se sont montrés vraiment désagréables et m’ont toisé de toute la hauteur de leur prétendu talent ! L’un officie dans le cadre de la respectable Académie de Bretagne ; l’autre, une femme, égare sa syntaxe dans le dédale de constructions hasardeuses, et s’aventure avec autorité dans un lexique approximatif. Tous deux, sûrs de produire des chefs-d’œuvre.

Que cherchais-je, m’efforçant de guider les auteurs malheureux ? La question me revient au moment où, un ami ayant accepté le poste de rédacteur en chef de mes Cahiers, je lui cède progressivement la gestion des sommaires. Et de me demander : que faire pour sauver la poésie ?

Car elle me semble vraiment en danger.

 

Commençons par la poésie traditionnelle…

« Monsieur prit son chapeau et sortit à 5 heures ». Voilà un alexandrin. Personne ne dira que c’est de la poésie.

En revanche… dans « Comme un navire a une voie d’eau, j’ai une voie de tristesse. Je fais détresse de toutes parts. Je fais larmes de partout », la poésie est bien présente selon moi, bien que l’auteur (Claude Roy, La Fleur du temps, Journal 1983-1987, Éd.Gallimard,)  ait choisi la prose pour s’exprimer. Mais comment a-t-elle pu se glisser dans ces phrases ? Sans doute par l’emploi déplacé des mots, s’appuyant sur l’analogie. Jean Tardieu disait qu’il y a poésie « chaque fois qu’un mot en rencontre un autre pour la première fois ». Et rappelez-vous la définition que donnait Pierre Reverdy de l’image : « L’image est une création pure de l’esprit. Elle ne peut naître d’une comparaison, mais du rapprochement de deux réalités plus ou moins éloignées… » (Pierre Reverdy dans sa revue Nord-Sud n° 13 de mars 1918, texte repris dans Le Gant de crin.)

 

« Ces mots qui se déplient dénudent mon silence », écrit Pierre Torreilles dans La Voix désabritée (Pierre Torreilles, La Voix désabritée, poème, Éd. Gallimard.). Voilà qui donne raison à Tardieu ; les images, le mystère du mot qui va plus loin que son sens, de la parole qui se cherche : voilà pour la technique. Mais le message aussi importe : dans le poème, il y a toujours révélation de l’être, confidence involontaire du poète – tout ce qui se devine derrière les mots. Reverdy affirmait que dans un recueil de poèmes un personnage se promène, l’auteur, à découvrir entre les lignes. Et Max Jacob de dire à ses jeunes amis poètes : n’oubliez pas que « sans émotion il n’y a pas de poésie ». J’ajouterai que la vraie poésie s’écrit entre ombre et silence. Il faut y entrer comme dans une église.

Comparons maintenant deux types d’écriture…

Le poète qui écrit en alexandrins ou en octosyllabes, court le risque de la prolixité et d’avoir à utiliser des chevilles pour les besoin du mètre ou de la rime. Aucun des poètes qui utilisent la prosodie traditionnelle n’y échappe. Le risque est grand aussi d’écrire de la prose rimée. « La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse et qui dort son sommeil sous une humble pelouse, nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs : les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs ».  Je sais que je vais faire crier dans les chaumières : ces phrases sont de Baudelaire et je dis que ce n’est que de la prose rimée.

Heureusement, Paul Valéry, dans ses Cahiers (Paul Valéry, Cahiers II, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Poésie IX, 774.), vient à mon secours : « Le vers est rare chez les Français. Nos vers pour la plupart n’en sont pas… En français, le vers qui contraint le diseur, qui l’oblige à ne pas lire comme prose, est rare. Il est difficile à réaliser… »

Très bien ; mais si le poète choisit d’écrire en vers libres, c’est pire, souvent une vraie catastrophe. L’art naît de contraintes et meurt de liberté, dit-on (Léonard de Vinci ? André Gide ? D’autres, sans doute…). Cette liberté-là risque bien de tuer la poésie. Combien de poèmes n’ont rien à voir avec elle, pas plus dans l’écriture que dans le message ?

J’accuse… j’accuse certains poètes d’écrire sans faire réflexion sur leur art. D’aller à la ligne sans savoir pourquoi, d’utiliser le « peigne aux dents cassées » du vers libre (formule d’Aragon, reprise par Jacques Charpentreau dans Le Coin de Table n° 57) sans pouvoir justifier leur choix. Et d’aller plus loin, parfois, copiant sans scrupules le Reverdy des années 1910, qui affirmait que la disposition typographique d’un poème dans la page est déjà une ponctuation. L’imiter en décalant le vers au hasard vers la droite de la page pour occuper tout l’espace est fort périlleux. L’artifice apparaît vite. Et si vous fouillez dans ces blocs de mots qui dérivent dans la page, c’est en vain que vous y chercherez l’homme : il n’y a personne ! Il n’y a rien ! Vous évoluez dans un vide abyssal ; vous errez, seul vivant dans l’étrange désert de signes. Devant un tel gâchis, peut-on s’étonner que la poésie ait de moins en moins de lecteurs ?

Si je devais donner un conseil aux jeunes poètes, ce serait de suivre celui de Boileau : « Vingt fois sur le métier (moi, je dis : l’établi) remettez votre ouvrage ; / Polissez-le sans cesse et le repolissez : / Ajoutez quelques fois et souvent effacez » (Boileau, Art poétique.). N’écoutez pas Reverdy quand il affirme, dans « Le Livre de mon bord » : « un bon poème sort tout fait… La retouche … risque de tout abîmer » (Pierre Reverdy, Le Livre de mon bord, Mercure de France ). Lui-même, d’ailleurs, ne s’est pas privé de « retoucher », au moment des rééditions.

Je leur conseillerais aussi de douter, d’accepter le regard de l’autre, et la critique. De ne pas croire qu’ils écrivent tous les jours des chefs-d’œuvre.

Dans Le Coin de table, Jacques Charpentreau nous dit que l’alexandrin rimé a duré des siècles avant d’être déclaré ringard, alors qu’il a suffi de 100 ans pour que le vers libre épuise ses possibilités – ce qui conduit les poètes qui veulent faire du neuf aux excès ridicules que nous connaissons actuellement.

Nous sommes plusieurs dans le Comité des Cahiers de la rue Ventura à penser que la prose sauvera la poésie. Quand vous écrivez en prose, ce n’est plus l’apparence du texte qui peut faire penser qu’on est bien devant un poème, mais le contenu, les images, un rythme, des sonorités, une musique ; et là, le soi-disant poète ne pourra pas tricher.

Reste toujours la question que devraient se poser tous les poètes : qu’est-ce que la Poésie ? S’ils n’y répondent pas, cela devrait au moins les aider à se montrer exigeants avec eux-mêmes.

Claude Cailleau,  Sablé le 5 avril 2014

 

J’avais reçu par le Net, en pièce jointe, des poèmes d’un inconnu – envoi qui avait dû être fait à plusieurs revues en même temps, parce que leur auteur n’avait peut-être qu’à moitié confiance en ses vers. Je les avais transmis au Comité pour avoir un avis. Ayant noté l’adresse informatique de l’inconnu, je l’ai glissée dans la liste des auteurs que je préviens lorsque paraît une nouvelle page sur mon blog.

Ayant fait, moi aussi, un envoi groupé (avec adresses masquées, pour la tranquillité de chacun), je reçois en retour un mail très bref : « Mais je ne vous connais pas, vous. » Et une signature. Le propos m’a plu, et intrigué. Je n’y voyais nulle agressivité ; de la curiosité, plutôt. J’ai répondu, et notre échange a commencé. Parfois, plusieurs mails dans la journée. Nous avons sympathisé. Parlé de tout et de rien. De notre travail, de notre famille. De notre vie. Merveilleuse invention que le Net, quand elle provoque ces rencontres amicales !

 

Trois petits poèmes de Florent, pour clore cette page du blog de juin 2014…

 

Poussière

 

J’ai embrassé tes silences

Des pins funambules

Aux manteaux nus

Les rocs s’évanouissent

Comme des ombres

La mer contemple

Ce vieil homme

Emportant ses souvenirs futurs

 

Insouciance

 

Te souviens-tu

Des chemins innocents

où dans l’ombre des tourments

Ton cœur dépouillé courait

Comme une fleur sauvage

L’hiver se lamente

sous le manteau d’étoiles

 

Latitudes

 

Que l’on danse sur ma tombe

Cette vieille barque

Où personne ne dort

Et ces falaises d’inconscience

Qui murmurent

Lorsque je n’y serai plus

 

Florent Jakubowicz, que nous avons publié dans le Cahier n° 20.

 

(Les lecteurs de mes livres sauront pourquoi j’ai choisi ces poèmes, pourquoi ils me parlent, particulièrement. « Dis-moi ce que tu lis, je te dirai qui tu es. »)

aubureau

Dans le silence et l’ombre du bureau, stylo en main (la vieille habitude)  un temps pour l’écriture…

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