La lettre de juillet 2014
Il y a quelque temps, je rangeais de vieux numéros d’Aujourd’hui Poème, périodique littéraire au format d’un journal, qui paraissait au début du siècle, et je tombe, page 3, sur un poème qui, tout de suite me parle. Je relis…oui, j’y trouve bien la petite musique qui, pour moi, relève de la poésie. Et je constate que l’auteur ne m’est pas inconnu.
Un petit échange de mails et l’auteur accède volontiers à ma demande. Voici donc, pour introduire cette page,
L’arbre aux poètes
Les poètes
(pauvres rameaux !)
sont bien malades
sur leurs branches.
Même les oiseaux leur préfèrent
la compagnie des singes
et le jacassement
continu des bécasses.
À chaque coup de vent
l’un d’eux tombe de l’arbre ;
ça fait un bruit de feuille
les jours d’enterrement.
À peine si l’on voit
frissonner les fougères.
Jean-Pierre Thuillat
***
Un blog n’est pas un site. Plus de spontanéité, de naturel, de familiarité ; mais un défaut : les pages s’accumulent, de mois en mois et, si l’on veut consulter une page ancienne, il faut faire défiler toutes les autres. Le lecteur peu motivé s’énerve et prétend ne pas trouver ce qu’il cherchait.
Le problème vient de notre vie actuelle : nous sommes tous des gens pressés. Bien que retraité, donc plus libre de gérer mon temps, je comprends le souci de ceux qu’un travail alimentaire retient longtemps hors de chez eux.
Mon blog est un peu le reflet de mon activité intellectuelle, encore que … l’essentiel soit ailleurs, dans ce Journal, très mal nommé puisque je n’y écris pas tous les jours, mais plus favorable à une réflexion que l’on préfère garder secrète un moment. Des confidences, on en fait cependant sur son blog. Celle-ci, par exemple : de même que je vais cesser d’écrire de la poésie (après un dernier poème, encore sur l’établi, et que j’ai intitulé provisoirement – je sais : c’est immodeste – « Mon Coup de dés »), je n’écrirai plus sur la poésie. Peur de radoter, de lasser. Du reste, qui peut prétendre avoir les compétences pour juger de la qualité d’un poème ?
Oublions tout cela. Si le poème me retient, m’incite à revenir en arrière, à relire pour retrouver l’émotion qui s’est glissée en moi à mon insu et le plaisir inanalysable d’un partage, d’une communion, bref : si le poème me parle, alors… peu importe qui en est l’auteur. L’impression d’un dialogue domine, et c’est comme si le poète était un ami avec lequel je poursuivrais une conversation entamée voilà longtemps.
C’est ainsi que, depuis un mois je dialogue avec Philippe Jaccottet à travers son œuvre groupée dans le Pléiade paru cette année. En 1991, le poète avait répondu à une enquête sur la poésie que lui proposaient mes élèves. Je n’ai pas tenté de prolonger le dialogue, conscient que je ne serais pas, pour lui, un interlocuteur bien intéressant. Je le regrette aujourd’hui, je sais que j’aurais eu beaucoup à apprendre.
D’un de mes poèmes arriverai-je à dire un jour : « Ce n’est pas moi qui ai tracé toutes ces lignes / mais, tel jour, une aigrette ou une pluie, / tel autre, un tremble, / pour peu qu’une ombre aimée les éclairât » ?
(Philippe Jaccottet, dans Cahier de verdure)
« Sauver la Poésie », mon texte de juin, m’a valu plusieurs réactions. En voici une, que son auteur m’autorise à publier ici. Je l’en remercie.
Message du 9 juillet, 16h20
Cher Claude Cailleau,
j’ai lu les pages publiées récemment dans votre blog, et je m’étonne un peu (beaucoup) de la constance avec laquelle vous revenez sur cet inépuisable sujet du vers libre, des poètes qui ne savent pas quand ils doivent aller à la ligne.
Méritent-ils (et leurs œuvres ) qu’on leur attache autant d’intérêt ?
Ne devraient-ils pas savoir que le vers libre n’est pas seulement question de coupes syntaxiques et d’unités grammaticales, mais question de rythme, de souffle, d’inspir, d’expir, de silence imposé à la voix, de suspens, de repos, de temps forts, de temps faibles, de syncope, de martèlement, de tam-tam, d’eurythmie, de cadence, de références à la prosodie traditionnelle, de musique « avant toute chose » ?…
Ne savent-ils pas cela ? Ne s’en doutent-ils pas ? Ne se sont-ils jamais interrogés là-dessus ?… Alors laissons-les s’interroger sur le moment où ils doivent aller à la ligne (incitons-les même à aller pêcher à la ligne) et lisons des choses plus sérieusement écrites. Par exemple ces vers de Jacques Depreux :
La mort est ton jardin
ta saison est la nuit
- la longue nuit des tombes sous la mer -
et ta main m’y conduit sur le sable du soir
Je me souviens d’une autre plage
et d’un matin
plus vaste que le jour
je me souviens d’une autre larme et d’un sourire
ancien sur l’hélice de l’aube
Ou ceux-là de Charles Dobzynski :
Il est mien, ce pays
Par la lèvre et la veine
J’y revis mes racines
Le feu rouge des ères
Sur chaque pierre brûle
Ma mémoire et mon nom
Cette terre est le livre
Où ma parole est d’herbe
Mon Dieu naquit du blé
Son feu mon seul miroir
me reconnaît
En ce qui concerne les vers comptés et rimés selon la prosodie traditionnelle, et ces vers qui, selon vous, sont « de la prose », je pense, si vous me le permettez, que la question est mal posée.
Vous dites que les vers de Baudelaire La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse, etc, sont de la prose rimée. Soit. Mais à l’aune de ce jugement, j’ai du mal à voir si
Mignonne, allons voir si la rose, etc, c’est aussi de la prose rimée, ou si
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, etc, c’est encore de la prose rimée, ou si
Frères humains, qui après nous vivez, etc, ou
Je meurs de soif, auprès de la fontaine, ou
Dictes-moi ou, n’en quel pays, /Est Flora… c’est toujours de la prose rimée . Et est-ce que
Je vis, je meurs : je me brûle et me noie, de Louise Labé, c’est encore de la prose rimée ? Et
Je suis le ténébreux, le veuf, l’inconsolé, c’est toujours et encore de la prose rimée ?… On pourrait ajouter mille exemples encore… A ce compte, il faudrait mettre presque toute la production poétique des siècles passés dans la corbeille de « la prose rimée » !
En fait, la question est mal posée, je pense, parce que vous placez, ce me semble, le curseur de votre jugement à partir de la poésie « moderne », disons Rimbaud, Mallarmé, Apollinaire… Reverdy… semblant oublier malicieusement que la poésie qui a eu cours pendant les siècles précédents obéissait à des règles syntaxiques, recourait à des images, à des procédés métaphoriques et à des systèmes d’écriture poétique différents de ceux qui ont eu cours à partir de, ou après les poètes cités ci-dessus.
C’est comme si vous jugiez (pardonnez-moi cette comparaison) les anciens moyens de transport, la marche à pied, le cheval, la charrette à bœufs, la diligence, la malle-poste, à partir du train à vapeur ou du T.G.V.
Mais la poésie, dans les siècles précédents, se pensait, se concevait et s’écrivait différemment et, en effet, elle avait souvent, syntaxiquement à voir, avec la prose, parce que notre « modernité » poétique n’était pas encore passée par là. Vous voudriez que Baudelaire écrivît comme Apollinaire ou Reverdy ! Comme si, dans l’écriture poétique qui a traversé les siècles, il y avait une sorte d’essence intangible, de manière d’écrire qui eût été la VRAIE poésie. Mais la poésie, comme vous le savez, est multiforme, et la forme importe moins que l’esprit poétique qui s’en dégage.
Mais, pour aller dans votre sens, allez, dirais-je que :
C’est un trou de verdure où chante une rivière, ou
Ce toit tranquille où marchent les colombes, etc, ou
Un soir de demi-brume à Londres/Un voyou qui ressemblait/A mon amour vint à ma rencontre/Et le regard qu’il me jeta/Me fit baisser les yeux de honte, ou
Sauras-tu jamais ce qui me traverse/Qui me bouleverse et m’envahit d’Aragon, ou
La salamandre surprise s’immobilise/Et feint la mort, d’Yves Bonnefoy, c’est aussi de la prose rimée ou versifiée ?…
Voilà quelques réactions en vrac, qui vous agaceront peut-être mais qui n’ont pour seul but que de nourrir le débat.
Très cordialement.
Michel
> Message du 09/07/14 16:28
> Cher Michel
>
> Merci d’avoir réagi à mon “Sauver la poésie ?” Je rends volontiers les armes, ne pensant pas être un spécialiste en poésie. Pas au point de pouvoir donner des leçons.
> Ce texte, c’est seulement la réaction d’un revuiste qui voit tomber dans sa boîte de prétendus poèmes qui lui paraissent relever de l’artifice.
> Je pense que beaucoup de ceux qui écrivent en vers libres actuellement vont à la ligne pour écrire en vers.
>
> J’ai dit quelque part, sur un guide destiné aux enfants, que pour moi (pour moi), la poésie se traduit par des images (elle donne à voir), un rythme, des sonorités, une musique (elle donne à entendre).
> Je sais, c’est simpliste, mais je pense que le rythme est très souvent lié à la syntaxe.
>
> Et je redis que…
(Ici, des vers d’un poète éditeur bien connu, qui se publie lui-même – passage censuré…),
c’est n’importe quoi. Je n’aurais pas pris ça dans ma revue.
>
> Me suivrez-vous si je dis que, dans les poèmes de Ronsard, Heredia, Villon, Louise Labbé, Nerval que vous citez, c’est la syntaxe qui donne un rythme et justifie l’appellation de vers?
>
> Ce n’est pas moi qui ai relancé le débat sur l’utilisation du vers libre, mais Claude Vercey dans Décharge. Et il vient de faire écho à mon texte. Il faut croire que quelques poètes font réflexion sur leur conception de l’écriture de la poésie. C’est réconfortant. Nous recevons tant de choses impubliables.
>
> Je peux, si vous acceptez, éditer votre réponse sur mon blog. Vous me direz.
> Mon “Sauver la poésie ?” sera le dernier texte que j’écrirai sur le sujet.
> Bien à vous,
> Claude
Mon correspondant ayant accepté que je publie son message, je l’ai édité ici pour servir la cause de la poésie, avant de retourner à mes modestes activités de revuiste. Je n’écrirai plus sur le sujet.
Les textes du CRV 25, préparé par Jean-Marie Alfroy, le rédacteur en chef, nous sont arrivés il y a quelques jours. Huguette, la secrétaire de la Revue, a terminé la mise en page et nous donnerons le fichier à l’imprimeur à la fin d’août. Le numéro sera envoyé aux abonnés au début de septembre.
Vous y trouverez un beau dossier intitulé « Chanter la poésie », des poèmes, une page d’enfance originale, avec l’émotion à fleur de mots, un regard sur trois auteurs dans la rubrique « Lire et relire », la revue des revues, et un dernier salut à une grande Dame qui, pendant plus de 60 ans, a fait vivre dans nos mémoires le souvenir d’un poète mort à 31 ans. Hélène Cadou a rejoint René sur les hauts chemins de la poésie.
Achevé ce 29 juillet, alors qu’il commence de pleuvoir et qu’au jardin, le vent emporte les pétales des roses défleuries. (Claude Cailleau)
« Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame.
Las, le temps non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame », écrivait Ronsard il y a bien longtemps.
Les trois photos… le passage du temps ! Avant, il faudrait placer celle qui figure au dos de mon récit Et je marche près d’elle ; et après, le dessin de Jacques Basse, que vous retrouverez en 4ème de couverture de mon anthologie Cocktail de vie )
Que passent les heures ! / Les fleuves vont à la mer, / et nous dans le temps. (Cette fois, c’est de moi, et je vous salue bien.)