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( 21 octobre, 2014 )

Les Cahiers de la rue Ventura ont entamé leur septième année…

Si vous souhaitez nous proposer des textes, envoyez-les au rédacteur en chef de la revue, à l’adresse informatique suivante :

< jm.alfroy@orange.fr >

Les commandes sont reçues chez

Les Amis de la rue Ventura

9 rue Lino Ventura

72300  SABLÉ-SUR-SARTHE

Vente au numéro : 6 € port compris.

Abonnement annuel (4 numéros : 22 €)

Chèques à l’ordre de « Les Amis de la rue Ventura ».

 

Le CRV 25 est paru au début de septembre.

Au sommaire,

le dossier Chanter la poésie, avec des textes de Éric Simon, Yves Le Marchand, Michel Passelergue, Jean-Marie Alfroy, Paul Dirmeikis ;

vers et proses de Éliane Biedermann, Éric Chassefière, Jean Chatard, Jean-Claude Demay, Bernard Gueit, Michel Lautru, Ivan de Monbrison, claude Serreau, Sydney Simonneau, Frédéric Vitiello ;

et les chroniques habituelles signées Michel Passelergue, Jacques Demaude, Ghislaine Lejard, Monique Labidoire, Claude Vercey.

 

*******

Raymond Michel

 

Au début de l’année 2013 me venait une lettre d’un inconnu me demandant quelques informations sur mes livres. Je m’empressai de lui répondre. S’en suivit un échange, trop bref hélas, puisque Raymond Michel est décédé cette année – octogénaire, mais on meurt toujours trop tôt pour ses amis. J’avais eu le temps de lui offrir quelques-uns de mes livres pour répondre à sa curiosité. Il avait fait écho à mon envoi en des termes tellement chaleureux que je nous croyais partis, tous les deux, pour une belle croisière sur les terres d’amitié de la poésie.

En décembre, il me disait le plaisir qu’il avait éprouvé à la lecture de mon récit Et je marche près d’Elle paru en 2013 aux Éditions Durand-Peyroles.

« Cher ami, écrivait-il, je suis très heureux de cet échange amical qui a paru s’imposer soudain. Il y a ainsi d’heureuses rencontres. André Breton y aurait vu un signe… Je suis – je vis en ce moment – dans « Et je marche près d’Elle », essayant de vous suivre pas à pas, et ce n’est pas toujours aisé. Mais je me sens bien sur ce chemin : je savoure, je vais en arrière, reviens à la page, tantôt dans la classe où vous enseigniez, tantôt dans celle de votre instituteur, ou sur la route avec Elle et vous, ou à votre table, et des fenêtres s’ouvrent de partout sur l’attente, sur une enfance perdue et retrouvée, sur l’intensité du non-dit à travers le dit. Je m’y sens bien car c’est se retrouver avec soi… Votre livre me fait retrouver une certaine écriture que je croyais perdue, dans une forme qui vous est propre mais qui me ramène à certaines délices des lectures de ma jeunesse. Où retrouver de nos jours pareille finesse du sentir, qui fait aussi le style où naît l’émotion chez le lecteur – quand chez l’auteur, le style naît sans doute de l’émotion ?

… Ayant lu d’autres ouvrages de vous avant celui-ci, certains de ces personnages m’étaient déjà familiers. Ils vous auront donc toujours habité ? Par je ne sais quel prodige vous leur aurez donné cette force de vie qui les rend capables de venir habiter votre lecteur. Et cela je crois, n’aurait pu se faire dans un récit sans zones d’ombre… »

 

Qu’ajouter à cela, sinon que j’ai ressenti la mort de Raymond Michel comme la disparition d’un ami de toujours ?

Pour rendre hommage, non seulement au fin lecteur mais aussi au poète publié deux fois par les Cahiers de Poésie Verte, voici quelques vers extraits de ses livres :

 

Toi

 

Ce qui m’est le plus moi

M’est le plus autre

 

Où je me reconnais

Je me manque

 

Je me trouve

Dans l’inconnu qui est toi

 

Toute aile déployée est mon mystère…

Où va l’oiseau ?

 

Par la rencontre

Voici

Que chacun échappé de soi

Se fait l’autre

Et voici

Que l’autre est cette plus vaste étendue

Où l’aile se délivre

 

L’autre : l’espace ouvert où je n’ai plus de nom.

 

***

 

Hors de mon pas

Il n’est pas de chemin

Rien ne se peut abstraire

De mon acte :

Je suis un

 

Hors de mon œuvre

Il n’est pas de parole

Je suis en elle au monde

Naissant au dire

À chaque mot

 

Nul ne se risque ici

Totale est l’aventure

Il n’est personne hors d’elle

Qui s’y jette

Préexistant.

 

***

 

Et, dans une belle langue poétique qui rappelle Paul Valéry, voici quelques vers de son dernier livre « Braises ou l’aile sous la cendre »…

 

Lavé, roulé, poli, puis vomi sans mémoire,

Te voici, galet nu, vierge de tout grimoire,

Qu’ont adouci les eaux dans la main de l’amour,

Lisse contre la joue où s’endormit le jour…

Bordant le lit de l’ange, un fleuve lent s’écoule

Qui s’évase au rivage où s’évide le moule

Dont tu t’empreins, vie une, au seuil de ton séjour.

 

Raymond Michel 

 

Relisant ces vers, je me dis que, peut-être, ils ne vous parleront pas comme à moi. C’est que j’ai trouvé là une approche voisine de la mienne lorsque je suis en attente devant « le vide papier que la blancheur défend ». Et que nous sommes tous différents. Lisez Raymond Michel : je suis sûr que vous aimerez sa poésie.

J’aurais volontiers dédié à l’ami disparu cette petite prose (poétique ?) parue dans mon « Cocktail de vie ».  Mais elle a déjà pris sa forme définitive dans un livre… La voici, cependant,  diminuée d’un paragraphe.

 

Les mots de la mer

Quelque part au Port-Louis, dans la crique d’automne ouverte au large, aux tempêtes, j’ai ramassé un vieux galet apporté là par la marée…

Chantera-t-il encore, ce galet de misère, granit roulé, frotté, usé dans le délire des tempêtes, chantera-t-il encore si je le sollicite, un soir de neige, dans mon village perdu quelque part dans la campagne et les années ?

J’ai ramassé ce vieux galet, doux à mes doigts comme une peau de fille, comme une peine qui s’épuise à vieillir, et voilà maintenant qu’au creux de ma main c’est la Bretagne qui s’attarde et me retient, paisible dans le soir, au clapot de sa vague.

                                                                                   Claude CAILLEAU

(In Cocktail de vie, Éditinter, 2013)

 

Ce galet n’est pas là pour rivaliser avec celui de Raymond Michel ; seulement parce qu’il m’a semblé que nous nous étions rejoints dans la même émotion poétique.

Et, pour finir, alors que le ciel de pluie nous oblige à allumer les lampes au milieu de l’après-midi, voici Louna, Cavalier King Charles (7 ans, déjà), le génie du lieu, sur les genoux de son maître, pour un petit moment de tendresse…

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( 4 octobre, 2014 )

La lettre de rentrée (septembre 2014)

Rentrée de quoi ? Il y a longtemps que je ne connais plus les affres des retours en classe. Moi qui détestais l’école, j’y ai passé 40 années à tenter d’éveiller mes élèves à la littérature.

Le temps de la retraite ayant sonné, j’ai repris le stylo (plutôt que de caresser les touches du clavier de l’ordinateur, ayant une profonde horreur des mécaniques modernes) et refait « autre chose ».

« Pour faire autre chose », c’est ce que je répondais à ceux qui m’interrogeaient sur les causes de mon break de quelque 25-30 ans dans les publications.

À la fin des années 90, donc, retour à l’écriture. De la poésie, deux romans (l’un pour enfants 1, l’autre pour adolescents 2), une biographie 3, un récit 4 (important pour moi, aboutissement de ma recherche personnelle sur l’écriture romanesque, entamée dans les années 70), et… de la poésie, encore, plusieurs livres dans lesquels j’ai tout essayé : la poésie traditionnelle 5 (des octosyllabes rimés – merci, Paul Van Melle, d’avoir accepté de les publier), des vers libres 6 (mais toujours avec le souci d’un rythme, d’une musique, d’une nécessité dans le découpage), des versets 7 (en hommage à Saint-John Perse dont, outre le Pléiade, je garde précieusement malgré son délabrement avancé, l’Anabase grand format en italiques corps 14, acheté pour trois sous à un bouquiniste des quais de Seine dans les années 50) et des poèmes en prose 8 (issus d’une curieuse cuisine, puisqu’ils furent d’abord écrits en vers avant de se retrouver sous une forme plus linéaire, après de multiples passages sur l’établi – prose qui n’a de prose que le nom, bref : ce que certains appellent poèmes en prose sans trop savoir pourquoi on leur accorde cet honneur. Ah, l’écriture !…

Et le petit écrivain aurait pu continuer tranquillement son chemin de tâcheron des lettres mais un jour, après avoir lu un de mes derniers livres de poésie, un ami m’écrivait : « oui, c’est toujours du Cailleau ».

Quel sens donner à cette phrase ? J’avais le choix entre deux interprétations :

 La première serait plutôt flatteuse : c’est bien du Cailleau, on reconnaît votre style ; vous avez une écriture très personnelle (entendez : comme on reconnaît du Gide ou du Colette sans avoir besoin de lire le nom de l’auteur à la fin du texte)

La deuxième prêtait à réflexion : c’est encore du Cailleau, tu n’en sors pas, mon vieux, tu radotes !…

Ma modestie me faisant opter pour la deuxième interprétation, je me suis dit : il est temps de cesser d’écrire de la poésie.  La décision est facile à prendre. S’y tenir est une autre histoire. J’ai donc décidé de finir d’une façon originale, et…

J’ai rouvert mon Pléiade de Mallarmé. Page 457, on peut lire un titre en majuscules : UN COUP DE DÉS. Ayant relu l’étrange poème (faut-il l’appeler ainsi ?), je me suis dit : je vais écrire mon Coup de dés. Dernière façon pour moi de tenter le destin, dans ce monde mouvant, fuyant, de la Poésie.

La genèse de ce que j’appelle encore Poème a duré plusieurs mois, deux ans peut-être. Oui, deux, probablement.

Ce texte ? Une phrase – une seule ! – qui s’étire sur une trentaine de pages, nourrie de parenthèses, d’incidentes, de réflexions en marge, d’ajouts de toutes sortes, dans le respect de la syntaxe initiale. Un exploit comme un autre.

L’écriture de la phrase ayant duré des mois, des textes en marge sont venus l’éclairer. Ils figureront dans le livre, à la suite du poème. Il y aura même trois réductions successives de la longue phrase (réductions en 16 lignes, puis 9, puis 5), pour en montrer la structure. J’aimais proposer à mes élèves de réduire un texte à sa plus simple expression en utilisant les mots, les phrases de l’auteur ; j’ai été tenté d’appliquer la méthode à mon propre texte. Ce fut pour moi comme une justification ; j’avais besoin de me rassurer : bon, ça va, l’édifice résiste à l’analyse. Mais…

Revenant au Pléiade de Mallarmé, j’y ai retrouvé le récit que fit Paul Valéry d’une visite au poète, lequel, après lui avoir montré les épreuves du Coup de dés, lui avait demandé : « Ne trouvez-vous pas que c’est un acte de démence ? »

Que pensera l’éditeur à qui je viens d’envoyer l’ouvrage ? Dans mes moments d’optimisme, je me dis qu’il se trouvera peut-être un courageux qui acceptera de publier le « chef-d’œuvre » (le terme est ironique, tout le monde aura compris)

 

Les textes en marge ? En voici un :

(6) Rue de Rome, debout près de la cheminée, dans la fumée du tabac, le Maître parle, et le silence s’épaissit pour accueillir la Voix. Ils sont tous là, venus pour des heures d’écoute. Je reconnais Gustave Kahn, Georges Rodenbach, Saint-Pol Roux, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, André Gide, Paul Valéry, jeunes loups affamés de poésie. Et je suis là, au milieu d’eux, invisible mais bien présent. Je suis là, un demi-siècle avant de naître, recueillant la parole du Maître. A-t-il deviné ma présence ? Sait-il  qu’un jour immodeste, je tenterai de l’imiter ? Le feu dans la petite cheminée flambera toute la nuit, éclairant mes heures d’insomnie. Je l’entendrai encore dans le silence épaissi par le temps. Je l’entendrai, je l’entends, « tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change… »

 

1)   Les Nymphes de l’océan, Le Pré de la Roche Éditions, 2012.

2)   La Croix d’or, Éd. du Petit Pavé, 2004.

3)   Dans les pas de Pierre Reverdy, Éd . du Petit Pavé, 2006.

4)   Et je marche près d’Elle… Éd. Durand-Peyroles, 2013.

5)   Mots du jour et de la nuit, Éd. du GRIL, 2009

6)   Cheminements, Encres Vives, 2002 –La Solitude du poète, Encres Vives, 2008.

7)   Le Roman achevé Éd. du Petit Pavé, 2009.

8)   Pour une heure incertaine, Éd. Sac à Mots, 2004.

 

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Pierres tombales (mémoire de l’homme et de l’écrivain)

 

En 1986, Henri Troyat me disait qu’il ne croyait guère à la survie de son œuvre ; l’homme se souciait-il de ce qu’il deviendrait après sa mort ? Je n’en ai rien su.

À Cuverville, André Gide repose sous une simple dalle de béton sur laquelle on ne lit que son prénom, son nom et les dates extrêmes de sa vie : 1869-1951. Sa femme, dans la tombe voisine, a droit à plus d’égards, avec, même, une phrase tirée de la bible. « Heureux ceux qui procurent la paix car ils seront appelés enfants de dieu. Heureux dès à présent ceux qui meurent dans le Seigneur ». Madeleine Rondeaux était très pieuse.

À Varennes-sur-Amance, Marcel Arland se cache derrière un demi-anonymat : Famille Arland, peut-on lire sur la plaque.

« Presque chaque jour, pour moi, fut un dimanche : peines et plaisirs mêlés … et sans fin l’attente. Mais qu’attendre aujourd’hui ? La maison, je n’ose la regarder. Je ne peux la juger. Quant au repos, je ne l’ai jamais connu. Que reste-t-il ? Nous verrons bien. » (Marcel Arland, « Proche du silence », page 91)

Il reste vos livres, Marcel. Vous étiez trop modeste. Souhaitons qu’un jour les hommes se souviennent que vous avez existé. Et écrit, pour vous dire.

Quant à Georges Perros (qui avait choisi de ne pas signer ses textes de son patronyme), il ne vit pas son éternité sous son nom d’écrivain. Il repose dans le cimetière du haut à Tréboul, sous les cailloux de l’étroite tombe entourée de granit moussu, en compagnie de Tania. Qui sait encore que derrière Georges Poulot se cache un écrivain ? L’homme trouvait-il son nom trop laid ? Ou voulait-il se cacher ?

« je vous assure qu’il faudrait signer ce que l’on écrit de son vrai nom et vivre sous un pseudonyme dans la réalité », écrivait Pierre Reverdy dans En Vrac.

Pas étonnant de la part d’un homme qui, toujours dans En Vrac, avouait : « Je n’arrive pas à trouver le rapport entre ce que je suis et ce que j’écris ».

La tombe de Reverdy, à Solesmes, porte bien son nom, en lettres – redorées en 2006 grâce à moi. J’en suis fier, un peu. Je dirai pourquoi à qui me le demandera…

Survivre par ses livres ?

 

Livres de poésie

livres de peu de bruit

 

Il n’est que de tourner les pages

d’absorber tous les blancs

d’engranger le silence

 

Les mots écrits en noir

ne font pas plus de bruit

que les plumes du paon

 

Qui les lira dans les files d’attente

qui les pressera sur son cœur

sinon la femme au manteau blanc

qui se faufile entre les signes noirs

de la vie quotidienne

 

Odile Caradec

 

 

gide

 

arland

poulot

Tombeau Reverdy (8)

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