Noël 2014
Pour finir l’année sur une note optimiste…
Je viens de terminer ce qui sera mon dernier travail en poésie : un ouvrage intitulé Crépuscules. J’en dirai plus une autre fois. J’en suis à la période de semi-dépression qui chez moi succède toujours à la décision de ne plus toucher à un manuscrit. Je vais, je viens, m’assieds à mon bureau… et ne fais rien.
Un éditeur a déjà accepté de publier ce que je considère comme mon ultime Coup de dés.
J’ai une inquiétude. D’abord, la composition même de l’ouvrage, la typographie, font vite oublier l’idée d’un envoi par internet. Tout risquerait d’être déplacé, déformé, et anéanti le fruit d’un travail de plus de deux ans. Ensuite, publié par un éditeur traditionnel, Crépuscules serait vendu trop cher. Son prix découragerait le chaland.
Je n’en dis pas plus aujourd’hui. Attendons que les jours s’écoulent.
Si une revue perdure, c’est grâce au cercle d’amis qui peu à peu s’est formé autour d’un projet et le soutient ; c’est aussi la conséquence de choix faits avec le plus grand sérieux par le comité de lecture, qui travaille bénévolement – les auteurs l’oublient parfois, qui croient que l’équipe est à leur disposition, toute prête à les publier. Les mails qui accompagnent les poèmes me font parfois sourire, venues d’auteurs qu’aucun doute ne traverse sur la qualité de leurs travaux. Il arrive aussi parfois que ces phrases m’irritent.
Il est pourtant difficile de me faire sortir d’une courtoisie que tout le monde s’accorde à me reconnaître. Ces poètes qui ne doutent jamais de la qualité de leurs textes seraient surpris s’ils lisaient les lettres que m’adressait dans les années 70 Marcel Arland, alors directeur de la NRF. Quelle modestie dans ses propos ! Et pourtant, quel écrivain c’était ! « Marcel Arland ou la grâce d’écrire ».
La fin de décembre, c’est le temps des bilans. Pour moi, 2014 aura été une année vide. J’ai confié à mon ami Jean-Marie Alfroy la charge de rédacteur en chef des Cahiers de la rue Ventura. Je rappelle que c’est à lui que vous devez envoyer les textes. Ses coordonnées figurent sur plusieurs pages de ce blog. Il suffit d’un peu de patience pour « descendre » dans les pages. L’information s’y trouve bien.
Aucun livre nouveau cette année. Il est vrai qu’en 2013 la BNF a vu arriver pour le dépôt légal trois ouvrages signés de moi, parus chez trois éditeurs différents. Un petit exploit.
2015 sera l’année de mon Coup de dés, ce mystérieux Crépuscules. Le pluriel est symbolique ; j’expliquerai…
Rien, donc, mais j’ai un petit faible pour mon récit Et je marche près d’Elle, paru chez Durand-Peyroles en 2013. Je ne vous dirai pas pourquoi ce texte (vous aviez raison, Roland Barthes) j’avais vraiment besoin de l’écrire ; il faut bien laisser un peu de mystère autour de la création. Du texte de dos, je reprends ce paragraphe…
« Dans ce livre étonnant, le récit se déroule sur plusieurs plans, mêlant avec audace les époques et les lieux – œuvre inclassable. Fiction ou réalité ? L’auteur ne nous le dira pas, qui ajoute : Le temps n’est qu’une création de l’homme. »
Et quelques lignes au-dessus,
« Cet homme qui écrit, qui parfois dit « je », parfois « il » – et parle de lui comme s’il se regardait vivre, qui est-il ? Ne serait-ce pas l’auteur, bien installé dans sa vie tranquille, qui s’observe et s’interroge ? »
J’ajoute que, pour éveiller la curiosité du lecteur éventuel, toujours en 4ème de couverture, l’éditeur a mis là ma photo, prise lorsque j’avais l’âge de mon personnage (30 ou 40 ans, allez savoir…) Il faut lire le livre pour connaître les raisons de ce choix d’une vieille photo de ma période yé-yé, dans les années 70., alors que, pour faire comme tout le monde, j’avais laissé pousser mes cheveux. Photo qui a suscité la réaction admirative d’une de mes petites-filles sur mon mur de Facebook ; et je n’en étais pas peu fier !
Fiction ou réalité, Et je marche près d’Elle ? Pour dérouter le lecteur, j’ai proposé en introduction au récit cette évocation d’une vie qui est peut-être la mienne, peut-être celle d’un autre. Les amis sauront ce qui appartient à l’auteur et ce qu’il a volé à son double. Voilà…
Confidence différée
Non, « je n’écris pas Paludes » (1). je ne suis pas André Gide. J’aurais aimé, pourtant. Quand il est mort, en 1951, j’avais 15 ans. A cette époque, peut-être qu’un autre vivait à ma place.
J’ai 25 ans et je suis vieux. Etrange, cette impression d’avoir déjà vécu – je veux dire : dans un autre corps. Je viens de lire Jean Barois (2). Nous sommes en 1913. Ce bouquin-là m’a passionné. Tenu éveillé deux nuits, alors que tous ceux à qui j’en parle l’ont trouvé ennuyeux. Vous me croirez si vous voulez : j’ai même rencontré son auteur, déjeuné au Tertre, un jour de septembre 1955. Passé l’après-midi avec lui et Marie Rougier. J’aurais aimé qu’André Gide soit là, et Schlumberger. Ah, Gide… avec lui, j’ai été moins heureux ; j’ai longtemps erré dans la rue de la NRF, espérant y croiser l’auteur des Nourritures. (3) Mais il était mort, déjà. Que venais-je chercher là, sinon son fantôme ? Je n’ai pas jeté le livre, non ; J’étais même, pour un moment, devenu Nathanaël. Ce qui prouve bien que je n’existe pas. Je veux dire que je ne suis pas de mon époque. « Nathanaël, j’aimerais te donner une joie que ne t’aurait donnée encore aucun autre », je me souviens de ce souhait, page 23 du livre.
Parfois je me retrouve rue Sébastien-Bottin, avec Marcel Arland. Je suis venu parler. Il a lu mon livre (4) et m’en dit beaucoup de bien. Y a trouvé aussi quelques défauts, mais les énumère avec une telle délicatesse que je le remercie. En face de lui, Jean Grosjean sourit, silencieux (les deux bureaux sont face à face). Je reste là entre 11h.30 et 13h. L’heure vous étonne ? C’est le créneau pendant lequel Marcel Arland me reçoit, toujours ; le silence des bureaux favorise les confidences. J’oublie que j’ai faim. Je reviendrai. Plusieurs fois. Toujours accueilli avec gentillesse ; c’est étonnant, cette simplicité, chez un homme qui dirige la NRF.
Un autre jour, je suis chez Troyat, dans son appartement parisien ; un serviteur en livrée m’a ouvert la porte. Plusieurs pièces en enfilade. Dans celle où il écrit, la haute tablette devant les dictionnaires, et le repose-fesses (mobilier d’écrivain qui aime écrire debout mais qui vieillit).Il fait chaud. Je suis trop vêtu. Notre homme doit être frileux. Pas moi. Il vient de publier un livre consacré à son père (5). Nous parlons, du vieil homme, mais surtout de cet avion tombé dans les Alpes, et des deux frères partis dans la neige, en quête d’un trésor (6). J’assure. Parle des personnages comme s’ils étaient vivants. Un beau moment d’émotion. Touché, l’auteur me dédicace le livre et quelques autres. Se laisse photographier avec moi devant le pupitre.
J’ai assuré, oui, comme les jours où Hervé Bazin m’accueille dans son gîte angevin, une étroite maison tout en hauteur. Le bureau est au sous-sol, mais de plain-pied, le terrain étant en pente, avec le jardin où joue son jeune fils, qui nous rejoindra tout à l’heure. Je sors de là avec un violent mal de tête, ayant dû, pendant deux heures, m’efforcer d’être à la hauteur. Pas facile : notre homme a tout lu, connaît tout le monde. Un autre jour, il me raconte l’histoire de son prochain livre (7). Et m’observe, pour voir « comment un littéraire allait réagir à un sujet scientifique ». Redoutable, l’examen. Je ne m’en sors pas trop mal. L’habitude.
Avec Gracq, à Saint-Florent, c’est pire. Le bonhomme m’impressionne. Sympa, pourtant, avec moi, parce que nous avons des souvenirs communs des années 40. Nous parlons de tout, sauf de littérature. Il a gravi l’étroit escalier de bois qui conduit au grenier où je jouais enfant. La haute maison domine le fleuve qui passe à ses pieds, majestueux et serein. Quand j’y venais en vacances, dans les années 50, elle abritait la gendarmerie. J’en parlerai, un jour. (Vous n’allez pas me croire, pourtant c’est vrai.) Lorsque je quitte Gracq, il me donne un petit livre à couverture verte (8), non coupé, à l’ancienne, où il a écrit : « à Cl. C … à travers la presqu’île guérandaise où j’espère qu’il me suivra sans ennui. » Toujours modestes, les grands écrivains, ou peu confiants en leurs lecteurs. « On n’attend personne. Le monde n’attend rien. Jamais rien. » (9)
Je vous le dis : je suis vieux, alors que je n’ai que 25 ans. Peut-être ai-je vécu plusieurs vies, habité plusieurs corps, plusieurs êtres. Je suis moi, et un autre, que je ne connais pas bien, qui parfois n’est pas d’accord avec moi ; et ça chauffe, dans ma tête, à ces moments-là. Il m’arrive de me dire que j’habite un corps qui n’est pas le mien.
Je vis dans trois maisons, mais ce n’est pas à la même époque. La première, dont les fenêtres ouvraient (ouvrent) vers le nord, me donnait (me donne) le blues. J’y erre parfois, à l’insu de ses occupants, mêlant mon temps et le leur. Lorsque je m’installe au sous-sol, dans le bureau où j’écrivais, une pièce qui n’existe plus, le cri de la chouette dans le chêne voisin accompagne ma veille. Dans la deuxième, vaste comme un château, les enfants ont peur lorsqu’on les y laisse seuls. Trop de pièces, de recoins, de couloirs. Une maison à fantômes, à cause de ceux qui sont morts là, et qui continuent d’y vivre, dans l’époque qui était la leur. Nous l’avons vendue ; mais, certaines nuits, je m’assieds à ma table de l’étage et je laisse les milliers de livres qui m’entourent me parler d’amour, de bonheur, de meurtres, d’une mort qui est peut-être la mienne, car nous vivons aussi dans l’avenir, un temps que nous imaginons et qui ne sera jamais, puisque nous aurons disparu. J’aperçois, au loin, une petite lumière qui crève l’écran de la nuit. Un veilleur regarde sa vie et s’interroge, séparé de moi par des kilomètres de silence, comme nous le sommes, sans doute, par des années, des décennies peut-être.
Ma troisième maison, celle où j’écris, ancrée dans ce que je crois être mon présent, a peu de murs, peu de portes et me rappelle une ferme où j’ai probablement vécu il y a longtemps, un siècle ou plus. La salle commune y abritait la table des repas, mais aussi les lits et, contre un mur, l’évier de grès, sans robinet, l’eau courante, à cette époque, étant un luxe inabordable pour les pauvres gens. Ma maison, les livres l’ont envahie ; ils habillent jusqu’au plafond les murs des bureaux, ont fini par gagner le salon et les chambres. Vous pouvez venir voir, les portes sont toujours ouvertes : je suis claustrophobe.
J’ai 25 ans et j’écris, avec les souvenirs, l’expérience d’un vieillard. Je suis un et plusieurs. A la fois dans cet homme assis à sa table, attendant que le texte s ‘écrive, venu de quelque part en lui, et dans cet enfant qui, le dimanche, partait avec ses gaules pêcher l’ablette et le gardon sur les bords de la Sarthe.
J’ai 25 ans : « le bel âge ! » prétend Vil, mon vieux compagnon de dérive, qui vient d’entrer dans la décennie des septante et me regarde avec envie.
J’ai repris cette chronique que j’écris, comme un journal sans date, depuis des années. Depuis l’enfance, peut-être. J’ai assemblé là des fragments, choisis comme les éléments d’un puzzle. Un personnage s’y promène, qui cherche un sens à sa vie. Moi, et un autre. Je serais bien en peine de dire qui est ce narrateur qui dit « je », et dans lequel je dois me reconnaître. Moi en un autre temps, probablement. Et ailleurs. Moi, ou un autre.
Enfant, déjà, je me demandais si je vivais vraiment. Maintenant c’est pire. 25 ans et ne pas savoir ! Ne pas savoir le poids que je pèse sur la terre…
« J’étais si fou certains soirs que je croyais presque à mon âme, tant je la sentais près de s’échapper », écrivait Gide dans ses Nourritures, page 25 de mon édition de 1954, un vieux livre jauni, qu’il avait fallu « couper », souple à la main comme je les aime – et, page 20 : « …L’incertitude de nos voies nous tourmenta toute la vie ».
Cette page, pour tenter de justifier ce qui va suivre… A trop se fuir, l’on risque de mourir. Le jour, je parle à des enfants ; la nuit, c’est à moi que je demande de m’écouter. Et aujourd’hui à un lecteur qui, peut-être, n’existe pas.
Port-Louis, ce printemps (Pourquoi dater plus précisément ? Le temps n’est qu’une création de l’homme)
1 – « Je n’écris pas Paludes », Bertrand Poirot-Delpech, Gallimard, 2001
2 – « Jean Barois », Roger Martin du Gard, Gallimard, 1913.
3 – « Les Nourritures terrestres », André Gide, Gallimard, 1921
4 – « Stef et les goélands », Claude Cailleau, Julliard, 1971.
5 – « Le Bruit solitaire du cœur », Henri Troyat, Flammarion, 1985.
6 – « La Neige en deuil », Henri Troyat, Flammarion, 1952.
7 – « Le neuvième jour », Hervé Bazin, Grasset, 1994.
8 – « La Presqu’île », Julien Gracq, Editions Corti, 1970.
9 – « La Presqu’île, page 170.
Si vous souhaitez acquérir ce livre, commandez-le aux « Amis de la rue Ventura » – 9 rue Lino Ventura – 72300 SABLÉ-SUR-SARTHE contre un chèque de 11 euros ; c’est son prix en librairie (le port vous sera offert)
À vous tous qui visitez ce blog je souhaite une belle et bonne année 2015, riche en petits et grands bonheurs.
L’hiver s’achemine…
Il neige dans les mémoires.
Une page tourne.
La question qui pend
aux branches du crépuscule :
Est-ce toi qui passes ?
Claude Cailleau, 22 décembre 2014
Et, comme il n’est jamais trop tard, en littérature, pour satisfaire une curiosité, mes trois livres de 2013 sont toujours en vente. Vous pouvez les demander à votre libraire, les commander sur le site d’Amazon ou aux Amis de la rue Ventura.
De Claude Cailleau, dernières parutions :
En juin 2013 : Et je marche près d’Elle… récit, Éditions Durand-Peyroles, 11 € (port offert)
« Il attend. Ne cesse de se répéter qu’Elle va venir. Ne sait pas pourquoi Elle l’a quitté. Elle est là, tout près peut-être. Et loin en même temps, dans un autre lieu, une autre époque. Il y a ce gamin, aussi. Que fait-il, ami de l’un, amant de l’autre ? Et cet homme qui écrit, qui parfois dit : « je », parfois : « il » – et parle de lui comme s’il se regardait vivre, qui est-il ? Ne serait-ce pas l’auteur, bien installé dans sa vie tranquille, qui s’observe et s’interroge ? Chaque heure qui passe nous rapproche d’un drame. Le narrateur le pressent et ne peut – ne veut ? – influer sur ce que le destin a décidé pour lui. Désormais, chaque lendemain est une menace, écrit-il…
Le lecteur intrigué par l’étrange récit trouvera, pour finir, le journal d’écriture de l’ouvrage.
En mars 2013 : Sur les feuilles du temps , poèmes, Éditions Écho Optique, 10 € (port offert)
« Le poème reste un écrit mystérieux. Venu d’où ? Personne ne sait. Pas même le poète qui, pourtant, l’a vu naître au bout de sa plume. Si l’énigme demeure, le message est là, avec, disait Pierre Reverdy, un homme à découvrir entre les lignes, derrière les mots… »
… Nous sommes seuls, et je me regarde dans le livre jadis écrit par ce quelqu’un qui était moi…
En janvier 2013, Cocktail de vie , anthologie personnelle (fragments de mes mémoires, de récits, de romans, poèmes, réflexions sur l’écriture, pages de journal… Bilan et choix dans mes écrits parus en revues pendant la dernière décennie). « Nous sommes donc invités à parcourir une œuvre suffisamment ample pour que nous nous y promenions longtemps », écrit Jean-Marie Alfroy dans la préface. Éditions Éditinter, 16 € (port offert)
Ces trois livres peuvent être achetés chez votre libraire ou sur Amazon ; mais…
je me ferai un plaisir de vous envoyer celui que vous désirez, accompagné d’une petite dédicace si vous le souhaitez (ceci, bien entendu, sans supplément de prix : le port reste offert). Écrire à
Les amis de la rue Ventura – 9 rue Lino Ventura – 72300 Sablé-sur-Sarthe
(Chèque à l’ordre de « Les Amis de la rue Ventura)