Marie-Thérèse Mekahli
J’aimerais être plus gai aujourd’hui, mais l’année 2014 nous a apporté son lot de mauvaises nouvelles. La disparition d’artistes, de poètes, amis de longue date ou relations plus récentes, est venue assombrir les jours rue Ventura. En automne disparaissait notre amie Marie-Thérèse Mekahli, artiste peintre, qui a exposé en France et à l’étranger, illustré de nombreux livres des Éditions Donner à Voir, et magnifiquement accompagné de dessins au trait noir mon long poème Avec le temps (2638 vers) paru dans un portfolio de grand format (voir, ci-dessous, la page 46 « Nous avons guetté le pourquoi des heures ») Marie-Thérèse Mekahli avait aussi réalisé de superbes collages aux couleurs vives pour Des Mots pour vivre, mon album de poèmes destinés aux enfants. (J’ai choisi, dans le recueil, la page 15 – le désert – pour des raisons que les proches de Marie-Thérèse comprendront, et la page 21 pour l’émouvante adéquation entre la peinture et le poème. Il se trouve que ce ne sont pas des collages, ici, mais si vous ouvrez l’album, vous les trouverez partout, avec le pouvoir de l’artiste de détourner les objets de leur rôle habituel et de leur signification.
Marie-Thérèse a toujours travaillé sur mes livres avec un enthousiasme qui m’émerveillait. Dans l’urgence, semblait-il, car elle se mettait tout de suite à la tâche, téléphonant de temps en temps pour s’assurer que je partageais cette hâte. En un mois, elle avait couvert de dessins la quasi-totalité des 92 pages du poème « Avec le temps », ne se contentant pas de répéter le texte, mais allant au-delà pour en éclairer les zones d’ombre, ce qui laissait au poète l’impression que deux sensibilités s’étaient rejointes au-delà des paroles écrites.
J’ai gardé un souvenir très vif de Verticales (1) , le livre de Michèle Lévy, dans lequel les dessins noirs de Marie-Thérèse, jetés sur la page comme des cris, viennent faire écho et enlacer les mots.
Souvenir aussi, dans un style très différent, des doudous de Francine Caron (2), tout de rose – et de douceur – habillés, dans un livre en accordéon ; Marie-Thérèse nous proposait l’émouvante ronde de ces petits personnages dont les visages expriment si bien toutes les émotions. Travail d’artiste, en partage.
Un peintre ne meurt pas. Notre amie continue de vivre dans ses tableaux, qu’elle a su imprégner, marquer de sa personnalité. C’est à cela qu’on reconnaît une artiste.
Ce texte, qui va paraître dans le CRV 27 en mars, je l’écris au début de janvier, alors que la nuit est tombée depuis un moment. Il pleut. Une pluie douce, régulière, qui plonge la maison dans un silence propice à la pensée. (L’heure de ressortir – mon ami Jean-Marie Alfroy m’avait conseillé ce livre – les Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie, de François Cheng (Albin Michel éditeur). Sagesse et sérénité. « Ne laisse en ce lieu, passant / Ni les trésors de ton corps / Ni les dons de ton esprit / Mais quelques traces de pas // Afin qu’un jour le grand vent / À ton rythme s’initie / À ton silence, à ton cri, / Et fixe enfin ton chemin. »)
Sablé, janvier 2015, Claude Cailleau
(1) Verticales, Michèle Lévy, Le Nœud des Miroirs, Caminel, 46300 Fajoles
(2) Haïkus des doudous, Francine Caron, Donner à Voir, 91 rue de Tripoli, 72000 Le Mans
Ci-dessous, dans l’ordre, « Nous avons guetté le pourquoi des choses », « Dans le désert… », et « La nuit, les chiens » – Illustrations de Marie-Thérèse Mekahli.
Je reprends ici les poèmes, illisibles dans les pages illustrées. Je crains d’ailleurs que détaché de son contexte, le premier ne reste enfermé dans l’hermétisme du fragment.
Nous avons guetté le pourquoi des heures scruté des horizons limpides Et le ciel qui se dérobait derrière Notre avenir écrit là-bas devant à l’encre délébile Effacé les empreintes de l’année pour repartir sur des voies neuves Marché marché jusqu’au lieu-dit de l’Arbre Sec la lumière des siècles éteinte dans ses racines la joie brûlée comme la sève dans le tronc L’heure nous a laissés de glace dans nos voies Le voyageur qui ce soir reniait toute parole s’est perdu dans le sable Sans viatique Et les dunes montaient vers lui dans l’ombre par vagues enfiévrées Étranger rassasié d’aventure vieillissant de venir au futur en poussière Mais nous gardons en nous des landes de prières quand glissent subreptices ces ombres à distances de nos vies.
Et maintenant le poème de l’album pour enfants…
Dans le désert depuis longtemps
les nuages sont endormis
Dans le désert un oued à sec
ne sait plus la douceur de l’eau
Dans le désert, un arbre nu
a oublié le vert des feuilles
Dans le désert seul le silence
s’invite et règne sur l’absence
et les deux brefs poèmes, distincts, qui squattent le deuxième tableau
La nuit, les chiens
rôdent dans les cours,
gardiens de l’invisible.
À la cime de l’arbre,
des lambeaux de ciel :
c’est le vent qui déchire
le tissu flottant des nuages
Il m’a paru intéressant de proposer ces textes pour montrer, à travers le regard que l’artiste a jeté sur eux, l’interprétation qu’elle en a faite.
Cl. C. Sablé, hiver 2014-2015.