Blog printemps
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Michel-François Lavaur
Je ne me rappelle plus la date. C’était il y a longtemps ; MFL nous avait prévenus, simplement, dans un numéro de Traces : il était malade. Mais il continuait. Puis cette maladie contre laquelle il luttait chaque jour avait fini par triompher. Il abandonnait. C’en était fini de Traces, sa revue, dans laquelle nous avons tous publié, toujours informés des décisions prises par un bref message avec le rituel « Amitié et vœux permanents » écrit au crayon de bois sur des papiers jaunis par le temps, transparents parfois.
Une dernière fois les poètes de la revue avaient été réunis dans un ultime numéro, le 176, qui restera dans les mémoires de tous ceux qui ont participé, un bel hommage au facteur de Traces, qui œuvrait dans sa fourbithèque de Sanguèze.
La maladie a triomphé. Michel François Lavaur s’est éteint le lundi 23 mars 2015. Bonne route, Poëte, sur les chemins éternels de la Poésie.
Un jour, Lavaur m’avait envoyé un texte dactylographié, orné de multiples corrections à la main parce que les touches de la vieille machine à écrire avaient refusé d’imprimer des lettres parfois, ou des mots. Ce texte, intitulé « La Marquise des Angles », j’avais toujours eu projet de le publier dans ma revue. Je l’ai égaré un moment dans le fouillis de mes archives. J’ai passé une journée à le chercher dans des dossiers, des piles de papiers… et fini par le retrouver sur mon bureau ! caché dans une chemise cartonnée, tout près de ma main gauche. Preuve que j’avais bien l’intention de le sortir de son silence. Le voici, en hommage à l’ami qui vient de nous quitter. Il est superbe. Personne n’a parlé des animaux mieux que le poète de Sanguèze. Voici, donc, l’histoire de
La Marquise des Angles.
Il remontait de l’enfance, noir aux yeux verts. Pourtant, la jeune femme qui étendait le linge au fond du potager, quand il se frotta, miaulant à ses chevilles, le rejeta par-dessus la murette.
Le grand chien de garde et les cinq pondeuses, après la chèvre et le chat roux, les lapins et les coqs, tous membres de l’arche vacancière, dans une smalah invraisemblable, suffisaient désormais aux choix de la famille, la fraternité animale avec les bêtes du bocage.
Deux fois, il tenta de séduire la femme qui le repoussa, mais à la troisième elle accepta de le conduire à la maison, parce qu’il arrivait de l’enfance.
(Elle avait, gamine, recueilli un chaton de cette couleur, un de ces chats que ceux qui n’osent les occire abandonnent sur le parvis, à l’attention des bonnes âmes en veine de charité, les chats de la messe ; mais quelques mois plus tard il avait disparu, malgré les pleurs et les recherches.)
À la cuisine, il dévora des poissons frits, tous les restes, et une grande bolée de lait tiède.
(Par quels chemins venait-il dans ce clos, en dépit du molosse ; et comment savait-il que ce cerbère apprendrait l’accueil et le bon voisinage, lui le vagabond, haret peut-être.)
Rassasié, il montra sans honte qu’il n’entendait rien aux vertus de la civilité, posant sa crotte sur le couvre-lit et son vomi sur la moquette.
Il fut porté dans la remise, sur les clapiers, parmi les fanes et les foins.
Il devint chatte. Fut nommé Réglisse. Éleva quatre bestioles multicolores, sans jamais gronder, griffer moins encore, à l’approche prudente de ses nouveaux amis.
Elle vécut six mois en sauvageonne, attendit six semaines la fin des vacances.
Au retour, on tenta une lente gageure, un apprentissage, une éducation patiente et respectueuse.
Elle apprit même les caresses, au bout de trois ans de refus polis, d’esquives et de réticences, mais fit toujours patte de velours aux bipèdes nus qu’elle s’était choisis.
Maintenant, elle est sûre, encore que craintive et fuyant les visiteurs, d’avoir trouvé la terre promise.
Elle aime partager l’oreiller de sa maîtresse et crie moins « Léon » pendant les vacances au pays natal du pilote.
La famille humaine, désormais, habite chez elle.
C’est la déesse lare du foyer autour duquel patrouille Ulysse.
À cause de son goût pour se frotter aux encoignures, de sa robe soyeuse, elle est devenue Réglisse, Mélanie de Vibrisse, Marquise des Angles, mais répond, sans se départir de sa nonchalante élégance, à divers sobriquets.
Elle prend la pilule et a ses préférences, parmi les boîtes de conserve, et les croquettes du gros loup qui cohabite avec elle jusqu’à la laisser chaparder dans sa gamelle, à force d’intelligence et de tolérance bourrue mais bonasse.
Elle vous envoie son salut tacite depuis la rocaille où elle guette les sorties des mulots, tandis que j’écris ces lignes au frais sur la terrasse, parmi un concert d’oiseaux crépusculaire que l’anche émue des rossignols prolongera dans la nuit claire.
Michel-François Lavaur, Petit élément pour un bestiaire, Argos
Et le poète, narquois, de nous murmurer à l’oreille : « Même en anthologie / ton merveilleux poème / ça ne sera jamais / qu’un truc sur un machin » . In L’œil d’isis, où l’on trouve aussi : « Même si tu vis sentant le souffle de la muse animer ta plume, où sera ton ode dans un siècle ? »