Décembre 2015. L’année s’achève…
Les Cahiers de la rue Ventura sortent – l’avez-vous remarqué ? – avec une belle régularité. Le n° 30 est paru en novembre. Les ventes ont été boostées (l’affreux terme ) par ce dossier sur Jean-René Huguenin, auquel ont collaboré des plumes nationales. À notre échelle – modeste, toujours – c’est un vrai succès. Du tirage de 150 exemplaires, il ne reste que les deux numéros d’archives que je garde précieusement, et 3 autres qui vont me permettre d’assurer à ce dossier une présence dans les salons de 2016. Vous avez bien lu : nous en avons écoulé 145 exemplaires !
Et… (j’espère qu’il me lira, je veux lui dire notre gratitude) le lecteur qui en 2010 s’était abonné pour 5 ans a voulu réitérer mais, cette fois, pour 15 ans ! Vous avez bien lu ! Nos échanges m’ont montré qu’il ne plaisantait pas. Quelle récompense pour nous, de savoir que notre revue plaît à ce point ! J’ai répondu à notre ami que quinze ans, ce n’était pas possible. Je ne demande qu’à vieillir mais en 2030, si le Dieu auquel je ne crois pas me garde en vie jusqu’à cette date, j’aurai 94 ans. J’aurai sans doute, et depuis un certain temps, pris ma deuxième retraite. Nous sommes convenus de prolonger son abonnement jusqu’en 2018. Pour moi, 82 ans, c’est encore envisageable.
Michel Cosem ayant accepté le principe d’un Encres Vives consacré à mon parcours littéraire, je me suis mis au travail. Et j’ai fait appel à quelques amis. Je n’ai oublié personne ; que ceux que je n’ai pas sollicités me pardonnent : la place me manquait pour les inviter tous.
Ce parcours, c’est l’occasion pour moi de parler de mon travail en poésie au moment où je me prépare à la quitter définitivement. Je n’écrirai plus de poèmes. J’en donne les raisons dans le dossier.
Aussi me plaît-il aujourd’hui de proposer ici un texte que j’ai reproduit page 2 du Cahier.
Ce texte (peut-on l’appeler poème ?) qui est paru dans deux revues, m’a valu beaucoup de commentaires favorables. Je l’aime bien, parce qu’il rapproche mes deux lieux de vie mais aussi pour l’importance qu’il accorde à l’objet, ce galet qui est bien plus qu’une simple pierre polie par la mer. « En elle quelque chose bat, le pouls secret d’une démesure », ai-je écrit quelque part. Voici…
Quelque part au Port-Louis, dans la crique d’automne ouverte au large, aux colères de la mer, j’ai ramassé un vieux galet apporté là par la marée.
Chantera-t-il encore, ce caillou de misère, granit roulé, frotté, usé dans le délire des tempêtes, chantera-t-il encore si je le sollicite un soir de neige, dans mon village perdu quelque part, dans la campagne et les années ?
J’ai ramassé ce vieux galet, doux à mes doigts comme un peau de fille, comme une peine qui s’épuise à vieillir, et voilà maintenant qu’au creux de ma main c’est la Bretagne qui s’attarde et me retient, paisible dans le soir, au clapot de sa vague.
Et maintenant une page de mon journal (il faudra bien qu’un jour je le publie, puisque, depuis 1995, il est écrit pour cela)
16 octobre 2015 – Le grand âge arrive à petites foulées. On sent, certains jours, venir le grand froid qui vous habillera de rigidité avant l’incandescence. Le plus étrange, le plus inquiétant, c’est ce vent de sable qui souffle sur les souvenirs, les efface comme les traces de pas dans le désert. Que me reste-t-il de mes années d’enfance, que je puisse immortaliser (pour un moment d’illusion) sur le livre du jour ?
Un de nos collègues, qui enseigna dans le même collège que nous pendant plus de trente ans, se meurt dans l’hôpital de la ville. Le « crabe », c’est à la mode en ces temps où l’on ne sait plus quoi manger pour ne pas s’empoisonner. L’homme se bat contre le plus grand des mystères : que sommes-nous ? Et pourquoi sommes-nous, puisque nous sommes appelés à disparaître comme si nous n’avions pas existé ? Si vous voulez survivre, disait Roger Martin du Gard, ne comptez pas sur votre famille : dans 60 ans (pourquoi 60 ans ? 30, peut-être) plus personne ne se souviendra de vous. Et il comptait sur son œuvre, le malheureux. Aujourd’hui, plus personne ne le lit. Les jeunes ignorent même qu’il a existé. Comme beaucoup d’autres, qui eurent leur moment de gloire.
« Que suis-je dans ma vie ? Ah, j’aurais dû noter / Quelque part sur un coin de ciel toutes mes courses /…/ Cet enfant que j’étais, qui donc me le rendra ? (René Guy Cadou)
Rimbaud, le voyou de génie, quittant sa vie à 20 ans pour une plus grande errance, a-t-il vraiment choisi son devenir ou celui-ci s’est-il imposé à lui, dont il aurait été victime ? Le garçon qui écrivait « le bateau ivre » vivait en rêve son délire futur. Curieuse prémonition ! Mais, dites-moi, se crut-il poète un jour ? Et son vieux pote Verlaine, qui l’accueillait dans son lit pour d’autres errances ?
Pour finir, je souhaite une belle année 2016 à tous ceux qui ont eu la curiosité de me suivre dans cette page de décembre. Et…
Si vous cherchez un livre à offrir, pour recevoir « Sur les Feuilles du temps »… (de Cl. C.), envoyez un chèque de 10 € aux Éditions Écho Optique (Bellevue – route de Cholet – 85500 LES Herbiers. )
Que Michel Diaz me pardonne de publier ici sa « lecture » du recueil : il est entré si profondément dans l’univers de l’auteur que celui-ci en a été touché au cœur. L’expression est faible pour évoquer mon sentiment à la lecture du message. Jugez-en vous-même…
« Je viens de lire d’une traite vos « Sur les Feuilles du temps » et, malgré l’obsédante thématique qui y est développée, j’ai retrouvé l’auteur que j’apprécie : textes d’une seule coulée, souffle court mais obstiné, têtu, tenace. C’est un livre qu’il faut lire en marchant sur des chemins raboteux, parmi les ronces et sous un ciel de crépuscule. L’ombre de la mort y plane tout du long, mais chaque vers, chaque pas, est un pas gagné sur la mort, une victoire, un élan vers le pas suivant, contre le crépuscule, contre la nuit, contre l’absence et l’oubli. Nostalgie et angoisse y sont transformées en victoires, sur le silence, sur la menace confuse qui nous cerne, et cela se transforme en lumière. Y fait la langue que vous utilisez : sobre, claire, rapide, allant à l’essentiel, dégraissée à l’extrême, d’apparence presque pauvre mais usant de ce dépouillement pour être plus efficace encore. Une langue « raclée à l’os ». Vous me rappelez votre âge dans le même courriel, mais c’est cet âge justement qui vous a doté des moyens de cette langue, c’est-à-dire d’un art que vous avez affuté comme une lame sur les cailloux des ans, et c’est là de la bien belle poésie. »
Sur le même livre, Olivier Renault, journaliste, écrivait dans Ouest-France : « Ce recueil de poèmes fait claquer la langue au rythme travaillé de vers taillés pour la lecture. À lire en paix. Et à voix haute, c’est encore mieux. »
Avant de vous proposer une page de ce livre, une photo de l’auteur à 14 ans (tout me semblait possible, alors) et le dessin que Louis Hubert, l’illustrateur des CRV, vient de faire pour la couverture du Cahier intitulé « Cl. C. un parcours littéraire atypique ». La ressemblance est étonnante. Merci, Louis, et bonne année !
Soixante-cinq longues années séparent les deux photos.
Près de 24000 jours, ou 576000 heures !
Que passent les heures !
Les fleuves vont à la mer,
Et nous dans le temps !
À Georges, mon père,
homme de peine, homme de cœur.
… S’en va sur le chemin.
Chancelle au vent mauvais,
la vieille silhouette.
Et refait le parcours,
tremble, avance deux pas,
Trois pas, c’est trop de deux déjà.
Une horloge le suit,
fragile. Ô le silence
qui gît dans l’or du balancier.
Et fouille dans ses jours.
Vienne la nuit
Sonne l’heure
(C’est Guillaume qui pleure)
Ainsi va le bonhomme
dans l’automne qui meurt.
Se rappelle la robe noire,
tranquille. Elle, qui marche.
Gréco, lunaire silhouette.
Seule mais sereine,
sur la scène, dans la lumière.
Le deuil à fendre l’âme
chante grave dans son rire.
Silencieuse soudain.
Désabusée. Puis tire
sa révérence. Adieu Madame.
Si tu t’imagines
qu’ça va, qu’ça va, qu’ça…
va durer toujours…
la saison des amours…
Et radote le vieux.
Queneau, Apollinaire,
la Seine coule sur vos vers.
Ailleurs, au bout des terres,
le poète venait,
S’en venait, s’en venait,
vers toi qui t’en allais.
Tu te rappelles, Barbara…
Abritée sous un porche,
quand la pluie et Prévert
se racontaient la guerre,
Le sang noir sur la mer…
la joie évanouie, la guerre…
Le peintre a posé ses pinceaux,
essuie ses mains à son passé.
Les rues racontent et les ponts.
Et la Seine sereine
épouse son histoire…
Ah, Prévert,
ton cancre de lumière
dans l’aube des lampadaires !…
Claude CAILLEAU
(Sur les Feuilles du Temps (Écho Optique)