Août 2016 – Au cœur de l’été
La revue… Le 33 arrive.
Ce n’est pas le beaujolais nouveau, non, mais le CRV nouveau, le 33. Déjà ! Je sais que le sigle ne plaît pas à mon ami Paul Van Melle. Il le redit à chaque fois dans son Inédit Nouveau, et cela m’irrite un peu, cette redite. Je lui ai pourtant répondu (avec un peu de malice, je l’avoue) qu’il parle bien de temps en temps de la NRF (sans donner à la respectable vieille dame des lettres son nom complet, lequel était chargé d’une intention pour ceux qui la mirent au monde). Il est vrai aussi que dans un courrier à moi adressé, un jeune blanc-bec de poète à qui je parlais de la revue de Gide et Schlumberger, me répondit : « Laissons là, je vous prie, cette bonne vieille NRF. » (Je vous laisse apprécier la suffisance du propos, lequel lui ferma définitivement la porte de ma revue.)
Mais venons-en au CRV 33. Il est sous presse. Vous y trouverez :
Un dossier auquel je tenais (merci, Jean-Marie, d’y avoir pensé) : « Écrire son enfance ». Dossier introduit par un texte enlevé de Philippe Lejeune, spécialiste national de l’autobiographie.
Un bel éventail de poésie avec Bruno Thomas, Silvaine Arabo, Danièle Corre, Michel Passelergue, Gérard Mottet (un nouveau, pour nous), Jean-Claude Coiffard, et cinq autres poètes, parmi lesquels quatre auteurs à découvrir, dans nos pages.
Les Chroniques habituelles, parmi lesquelles un beau texte de Michel Diaz pour réveiller le souvenir d’alain Borne, poète trop oublié.
Pourquoi je tenais tant à ce dossier ?
Parce que, contrairement à ce que pense le Monsieur du Pot-au-feu, dont je parlais dans ma page de juin (paroles venues), et qui prétendait que je ne me posais pas « les questions primordiales » lorsque je tenais les rênes de la Revue, je ne publie pas que de la poésie. Une revue-anthologie, c’est facile à gérer, les poèmes, on les prend ou on les refuse et c’est clos. Ceux qui connaissent nos Cahiers savent que chez nous, c’est un peu plus compliqué. C’est structuré, avec des rubriques, et j’ai toujours voulu faire coexister dans le même support poésie et autobiographie, persuadé, comme Danièle Corre, que les deux sont étroitement liées – mais aussi qu’il s’agit d’une « question primordiale » à notre époque, comme au siècle précédent.
Je relève dans La Faute à Rousseau n° 29 de février 2002, sous le titre « Dénouer l’écheveau des routes », et signé de Danièle Corre, ceci :
« L’autobiographie me semble la matière même à partir de laquelle jaillit, se construit la poésie, mais je ne saurais dire par quels chemins mystérieux elle va de cette terre essentielle à la lumière, ni comment le poème s’organise en rythme, en images, en sonorités, malgré la vigilance de celui qui écrit. »
Ce à quoi Paul Merle, dans le même numéro répond :
« Le musicien fait danser les sons, le peintre joue avec les couleurs. Celui qui écrit fait vivre les mots en les associant ; le poète les fait chanter. L’autobiographe est poète quand il les fait vibrer sur l’archet de son âme. »
Et Danièle Corre, toujours, évoquant un cambriolage qui a vidé une maison de ses meubles :
« Des ombres rôdent
autour des fauteuils absents
Une main invisible
tourne les aiguilles
de l’horloge disparue
qui savait ameuter
la volée d’enfants piailleurs
qui se disputaient le pain
Rien ne subsiste
tout est là
Entre les murs puissants
l’architecture de la mémoire
sauve ses lignes fondatrices. »
Je suis volontiers Danièle Corre lorsqu’elle conclut : « Voyage en soi, voyage autour de sa chambre… L’entreprise autobiographique n’est-elle pas le voyage essentiel ? »
Quant à moi, les poètes dont j’apprécie les vers sont ceux qui savent accomplir ce voyage en eux-mêmes. Poésie et autobiographie, alors, se rejoignent.
Toujours dans le n° 29, ces propos que je prendrais volontiers à mon compte : « Le poème est court, c’est une autobiographie instantanée, une minute autobiographique… S’il est un écrivain proche du poète, c’est bien l’autobiographe … c’est à un même mouvement que tous deux obéissent ». Et encore : « le poème est à la prose ce que la photo est au film ». Le lecteur du Cahier 33 retrouvera cette idée dans mon texte intitulé « Je lui parlerai du petit ».
Une différence, cependant : « Le poème est obscur : du signifiant plutôt que du signifié ». C’est ce qu’ont bien montré les poètes qui ont tenté de suivre une démarche mallarméenne.
Voilà qui justifie, me semble-t-il, mon choix d’associer poésie et autobiographie. Je ne peux que vous conseiller de visiter le site de l’association pour l’autobiographie et le patrimoine autobiographique. Vous y trouverez son adresse.
Je vous parlais il y a un instant de ces livres qui me sont chers, parce que leur auteur y a écrit. À Angers en 1993, Andrée Chedid m’avait écouté faire une conférence sur les ateliers littéraires que j’animais dans les collèges. Quelque temps plus tard, m’envoyant deux livres, elle écrivait :
Le terme…
Tout a un terme. La vie aussi. Restent quelques photos, un moment le souvenir des voix, des visages, parfois un livre ou un tableau, qu’on finit aussi par oublier.
Aidé d’Huguette et de Valentin (un de nos petits-fils), je viens de ranger notre bibliothèque. Environ 4000 livres. Certains me sont plus précieux, à cause du contenu, bien sûr, mais aussi parfois parce que l’auteur y a glissé un mot d’amitié. Une dédicace de Julien Gracq ou de Marcel Arland, sa valeur est pour moi de l’ordre du sentiment. Je pense avec effroi qu’un jour un type que je ne connais pas prendra ces livres pour évaluer la plus-value apportée par une signature sur la page de garde. Et qu’il vendra le livre en prélevant sa quote-part !
Rangeant les livres par ordre alphabétique d’auteurs, j’ai glissé les miens, pour exister un moment dans cet univers de papier.
Dans ma bibliothèque, les livres ont vieilli, debout, pierres levées sur les rayons, qui tiennent ma voix pionnière. Une douzaine portent mon nom, entre José Cabanis et Louis Calaferte, Les Cartes du temps et Portrait de l’enfant. Mes personnages dialoguent à mots mesurés, muets comme le sont toujours les êtres de papier. S’éveillent chaque fois que j’ose ouvrir les livres. Les vies d’ici courent menu-menu dans le roman de l’aube.
Ce petit poème devrait paraître prochainement dans « Je, tu, il », qui sera mon dernier livre de poésie. Et c’est bien symbolique, ces rencontres, ce voisinage avec Cabanis et Calaferte qui ne fut pas voulu.
Dans une page précédente, je donnais des nouvelles de mon Cocktail de vie, maintenant épuisé. L’éditeur m’avait prévenu qu’il ne lui restait plus que quatre livres. Si j’en crois le contrat, il s’en est quand même écoulé quelques centaines d’exemplaires.
Et voilà que les éditions Écho Optique me demandent si je suis preneur du solde de mon recueil « Sur les Feuilles du temps ». Une soixantaine d’exemplaires. Je ne sais pourquoi celui-là s’est mal vendu. Et c’est curieux car les poèmes que j’ai réunis là ont tous été pris et publiés dans des revues (Multiples, 7 à dire, Pages insulaires et dans Cocktail de vie). Ce sont les poètes qui lisent les poètes. Sans doute mes amis se sont-ils dit qu’ils connaissaient ces textes. Le gros carton m’est arrivé hier. Triste fin pour ce livre sur lequel un journaliste écrivait dans Ouest-France : « Ce recueil de poèmes qui fait claquer la langue au rythme travaillé de vers taillés pour la lecture. À lire en paix. Et à voix haute, c’est encore mieux ». Je remercie le journaliste (il me lira peut-être) d’avoir pensé que ces poèmes étaient faits pour être entendus. Pour moi, le poème doit résister à une lecture à haute voix.
Toujours sur cet infortuné petit livre, un ami, qui me suit depuis longtemps, m’écrivait :
« Je viens de lire d’une traite votre « Sur les Feuilles du temps » et, malgré l’obsédante thématique qui y est développée, j’ai retrouvé l’auteur que j’apprécie : texte d’une seule coulée, souffle court mais obstiné, têtu, tenace. C’est un livre qu’il faut lire en marchant (je le ferai) sur des chemins raboteux, parmi les ronces et sous un ciel de crépuscule. L’ombre de la mort y plane tout du long, mais chaque vers, chaque pas, est un pas gagné sur la mort, une victoire, un élan vers le pas suivant, contre le crépuscule, contre la nuit, contre l‘absence et l’oubli. Nostalgie et angoisse y sont transformées en conquêtes sur le silence, sur la menace confuse qui nous cerne, et cela se transforme en lumière. Y fait la langue que vous utilisez : sobre, claire, rapide, allant à l’essentiel, dégraissée à l’extrême, d’apparence presque pauvre mais usant de ce dépouillement pour être plus efficace encore. Une langue raclée à l’os. Vous me rappelez votre âge, mais c’est cet âge justement qui vous a doté des moyens de cette langue, c’est-à-dire d’un art que vos avez affûté comme une lame sur les cailloux des ans, et c’est là de la bien belle poésie ».
Cette lettre, Je l’ai lue et relue, pour ne rien manquer. C’était tout miel pour moi ; mais – vous l’aurez sans doute remarqué – quand le critique écrit en poète, que demander de plus ? Merci, Michel, dans votre Touraine pas si éloignée que ça de la rue Ventura, merci de m’avoir lu ainsi.
Si vous êtes curieux, contre un chèque de 4 sous, les Amis de la rue Ventura vous enverront le petit livre. 4 sous, vraiment ! Ça ne fait pas chère la page. Mais puisqu’il faut solder la poésie pour qu’elle soit lue…
J’ai confié aux Amis de la rue Ventura le soin de diffuser et distribuer le reste d’un rêve, alors que déjà (nous étions en 2013) je m’acheminais vers une fin (en poésie, rassurez-vous, l’autre attendra un peu).
Courrier aux Amis de la rue Ventura : < amis.rueventura@hotmail.com >
Vous pourrez leur demander leurs conditions pour ce livre. vos serez étonnés.
Depuis que vous visitez ce blog, vous connaissez Louna, notre petite Cavalier King Charles. C’est un peu le génie tutélaire de la maison. Elle vient d’avoir 9 ans, hélas. Les animaux vieillissent plus vite que nous ; ils partagent un moment notre vie puis nous quittent, après quelques années de silence parlant.
Voici Louna regardant son maître. Un ami à qui j’envoyais cette photo m’a écrit : « C’est émouvant, cette entente avec la petite chienne qui n’entend pas (Louna est complètement sourde) mais qui comprend tout, devine tout. On dirait qu’elle a, non pas des éclairs, mais des flammes d’intelligence qui brillent dans ses yeux ».
Moi, j’y vois surtout une grande tendresse pour ces maîtres qui veillent sur ses jours. J’ai voulu partager avec vous ce regard qui me parle.
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