Le présent de l’indicatif… novembre 2016
Au sommaire de cette page – conversation avec moi-même, et avec vous, lecteurs :
1 – Les changements dans la Revue
2 – Nos livres nous survivront
3 – Le Cahiers 34 vient de paraître
4 – Le Nouveau Roman
1 – Attention !
Vous écrivez, vous voulez nous proposer des textes pour la Revue ; envoyez-les à l’adresse informatique suivante :
ou, si vous êtes brouillé avec l’ordinateur,
aux Amis de la rue Ventura – 9 rue Lino Ventura – 72300 SABLÉ-SUR-SARTHE
Mais demandez-vous d’abord si vos textes correspondent à la ligne éditoriale de nos Cahiers. Pour cela, la meilleure solution, c’est de nous commander un exemplaire contre un chèque de 6 €.
2 – Nos livres nous survivront…
Je parlais à Monique Labidoire de ce dossier que je prépare pour 2017 sur le Nouveau Roman. En 2013, j’ai publié « Et je marche près d’Elle… » un récit qui a ses racines dans les années 1970, une décennie où le Nouveau Roman commençait à montrer ses limites. Il n’avait pas réussi à étouffer le roman traditionnel. Mais je pensais, moi, que ses théoriciens avaient de bonnes idées. Les livres qui étaient nés de leur réflexion me fascinaient par leur étrangeté. Ils me paraissaient plus conformes à la réalité de la vie, et moins tricheurs leurs auteurs. Dans certains livres, le point de vue choisi respectait le secret des êtres. Mon récit Et je marche près d’Elle a failli paraître à cette époque chez Robert Morel, qui éditait une littérature innovante dans le Sud-Est de la France. Morel m’avait écrit : « Supprimez dans votre texte les complaisances que j’ai soulignées, et je vous publie ». Je n’ai pas fait les corrections demandées (je ne sais plus pourquoi, peut-être par orgueil !), le manuscrit est resté dans un tiroir et je suis entré, comme on entre en religion, dans un grand silence qui allait durer près de 30 ans. Silence inexplicable, je sais. Et jusqu’en 1999 je n’ai plus beaucoup écrit, en dehors de mon journal. Et rien dit ensuite de ce silence qui m’a sans doute fait rater une carrière d’écrivain.
Publié en 2013 par un petit éditeur indépendant, que je remercie de son courage, Et je marche près d’Elle n’a pas eu le succès qu’il aurait eu chez Robert Morel.
Le tirage est maintenant épuisé. Plus personne ne parle de ce livre. J’en ai encore une dizaine, peut-être plus, je n’ai pas regardé. De temps en temps j’en offre un à un ami. Je sais : c’est lui forcer la main, parce qu’ensuite il se croit obligé de faire écho en m’envoyant son regard sur le livre. Récemment, ce fut le cas de Monique Labidoire, et, comme je lui demandais l’autorisation de publier sur mon blog sa lettre, avec ou sans sa signature, elle me répondit : « Je ne vois aucun inconvénient à faire paraître cette lettre sur votre blog si vous la jugez d’un intérêt possible, et avec ma signature : je ne suis pas dans l’anonymat mais dans la sincérité ».
Je pense qu’elle lira cette page et je la remercie de sa confiance.
La photo ci-dessus, c’est moi au temps où j’écrivais l’étrange récit qui allait paraître 40 ans plus tard ( !) sous le titre Et je marche près d’elle. Est-ce bien moi ? Je me reconnais mal dans cet homme à l’épaisse chevelure noire , qui me regarde, l’air moqueur, un peu.
Voici ce que m’écrivait, il a quelques jours, Monique Labidoire après avoir lu le livre…
Cher Claude Cailleau, Je viens de terminer votre récit « Et je marche près d’elle » que vous avez eu la gentillesse de m’adresser. Oui, j’ai pris un grand intérêt à cette lecture qui m’a ramenée quelques décennies en arrière… quand vous, moi et quelques autres, pensions peut-être que jeunesse et révolution (dans l’écriture) seraient indispensables à nos désirs de « changer le monde ». En fait, les fragments de votre journal en fin de volume expliquent parfaitement votre démarche qui peut sembler très structurée à un lecteur peu habitué à cette forme d’écriture mais qui au contraire me semble la voie même de la presque liberté.
Le roman dans le roman prend vie au fil des heures, des événements, des lieux, des ressentis, des rencontres. Une écriture palimpseste tout comme notre mémoire qui superpose à l’infini des moments de nos existences, un mot, un lieu, un son, une odeur et la petite madeleine est toujours dans la fraîcheur du jour. Ainsi tout un vécu apparaît dans le récit, la Bretagne, Port-Louis que je connais bien, le professeur dans sa classe, la femme aimée mystérieuse, inatteignable et le texte déroule son destin de locuteur et de lecteur en osmose, ce qui peut en dérouter quelques-uns. Le lecteur doit s’impliquer totalement. Tout comme en poésie.
Je comparerai volontiers la lecture de ce « genre » avec la lecture de poésie qui se fait et se vit dans l’instant même de la lecture et imprègne la mémoire par un ressenti plus que par une compréhension immédiate. Nos sommes dans les mots, dans la langue, dans un rythme. Nous ne savons pas toujours expliquer pourquoi nous aimons tel ou tel poète mais nous gardons en nous un sentiment : beauté de la langue, musique des mots et bien entendu les mots ont un sens.
Ici l’influence du Nouveau Roman est réelle mais je trouve que l’écriture est très personnelle et beaucoup moins objective que chez un robbe-Grillet, un Butor, ou Duras (selon les époques). Évidemment le roman dans le roman est bien visible, l’introduction de l’écrivain dans son récit aussi, la réflexion sur le texte même, par exemple changer la personnalité de Pat, l’ambiguïté entre l’homme et l’adolescent, le dialogue sur l’écriture du récit, toutes les « techniques » utilisées, je n’aime pas le terme mais à un moment donné celui qui écrit utilise tout de même ses référents et ses signifiants.
Par contre le fil conducteur « Elle » est classique, même si le sujet est traité dans la modernité du récit. La femme est l’avenir du monde, dit le poète, « Elle » est Clélia, Yvonne de Galais, Albertine (quoique) Eurydice, Nadja, Elsa…
Cher Claude, j’ai bien aimé votre petit roman/récit. Bien sûr comme pour la poésie, il semblerait que les lecteurs aient encore du mal à faire l’effort de la vraie rencontre, je pense que le travail dans le langage comme il se présente sous votre plume n’est reconnu que par quelques-uns. Les autres se contentent d’identification sociale ou sentimentale ou historique – que sais-je encore ? – pour apprécier pleinement un livre. Gardons l’espoir.
Je serai toujours heureuse de vous lire et de collaborer aux Cahiers de la rue Ventura. Croyez en mes sentiments fraternels et poétiques.
Monique W Labidoire
3 – Le Cahier 34 est paru. Vous y trouverez…
deux poèmes d’Antoine Emaz (bonnes feuilles d’un recueil à paraître aux Éditions Tarabuste en 2017)
Une rencontre inattendue : quand Rachel, poète de langue hébraïque, nous parle du livre de Georges Duhamel : « Les plaisirs et les jeux », un petit chef-d’œuvre de naturel, plein de tendresse et d’humour.
La suite du dossier sur les femmes poètes (cette fois : Andrée Chedid, Hélène cadou, Sabine Sicaud)
Des poèmes de Daniel Birnbaum, Éric Chassefière, Paul Couëdel, Guillaume Decourt, Colette Élissalde, Claude Gobin, Béatrice Marchal, Sydney Simonneau
Deux pages d’enfance, le journal littéraire de Michel Passelergue, et « Lire et relire Marie Noël » par Jean-Marie Alfroy.
4 – Aidez-nous en participant …
Nous préparons un dossier sur le Nouveau Roman. Vous avez lu un des livres de Butor, Pinget, Robbe-Grillet, N. Sarraute, Cl. Simon, M. Duras … que l’on peut ranger dans cette catégorie. Vous avez aimé ? Vous avez détesté ? Nous sommes à votre écoute. Envoyez votre texte à l’adresse indiquée en tête de cette page.
Le Nouveau Roman ?
Quand j’étais prof, j’expliquais à mes élèves de troisième une page de La Neige en deuil d’Henri Troyat, une tragédie moderne qui respecte presque la règle des trois unités du théâtre classique. Vous trouverez ce passage pages 74-75 du J’ai lu (dépôt légal de mon édition : 2ème trimestre 1976)
« Isaïe leva les yeux et reçut le paysage en pleine figure comme un coup de vent… »
Dans cette phrase, une première comparaison, que les métaphores vont suivre en abondance. Et l’on n’est pas loin du langage de la poésie, tel que je le conçois. Le paysage qu’on nous décrit, ce n’est pas la montagne telle que pourrait nous la montrer une photo. Non, c’est la montagne vue par Isaïe le vieux guide. Un décor superbe, que l’aube naissante vient animer. Splendeur, puissance, et menace. Un décor vivant, redoutable. Tout cela, c’est Isaïe qui le voit, là où votre œil n’aurait enregistré que des pentes abruptes, des rocs dénudés ou couverts de neige. Le vieil homme a un passé d’échecs derrière lui, et un avenir immédiat qu’il redoute. Dans cette page, on est loin du Nouveau Roman puisque l’auteur nous présente une montagne transformée par l’émotion de son personnage. Il triche, c’est évident : comment peut-il savoir ce que ressent son personnage ? Tout est subjectif ici. L’auteur est engagé dans l’histoire ; celle-ci ne se déroule ainsi que par la volonté du romancier.
Mais cette page est essentielle dans le livre, nous avons là un bel exemple d’une description qui fait progresser l’action. En arrivant, Isaïe est angoissé d’avoir à affronter la montagne (et aussi par l’idée que ce qu’il va faire là-haut est condamnable. Mais je ne vais pas vous raconter l’histoire, je vous laisse aller voir…). C’est le regard prolongé qu’il porte sur le paysage qui va lui donner la force de prendre une décision : affronter la montagne alors que, l’instant d’avant, il était prêt à abandonner.
À la fin de sa description, Troyat écrit, parlant d’Isaïe : « Le soleil se levait pour lui seul, et pour lui seul les montagnes acceptaient les couleurs de l’aurore. Il était responsable, en quelque sorte, de cette création éblouissante et hostile ».
Et comme il a raison ! Tout est dit. Le personnage est devenu l’auteur (le facteur, celui qui fait) de la description. C’était ma fierté, autrefois, d’embarquer ces garçons et ces filles de 15 ans dans le combat que mène Isaïe, soutenu par l’amitié que lui porte l’auteur. Dans la tragédie qui se déroule, l’auteur a choisi son personnage ; c’est lui qu’il va aider, avec lui qu’il va souffrir, lui qu’il va nous amener à plaindre et à excuser. N’est-ce pas extraordinaire, ce pouvoir d’agir sur le lecteur parce que soi-même, en tant qu’auteur, on s’est engagé.
On voit ici ce dont se privaient, sous couvert d’authenticité, d’objectivité, les auteurs du Nouveau Roman. Mais ces écrivains nous proposaient des textes dont l’originalité séduisait le jeune romancier que j’étais, qui venait de publier son premier livre, un roman somme toute pas trop raté puisqu’il reçut un prix de l’Académie Française. Mais très « classique ».
Et je marche près d’Elle, c’était en réaction à ce classicisme, une incursion – modeste – dans le Nouveau Roman. Essai qui a fait long feu, puisque le livre est resté 40 ans dans mes tiroirs et qu’il est paru à un moment où le Nouveau Roman était enterré.
C’était une page d’automne, d’un automne qui, déjà, s’achemine vers l’hiver. Page pour prendre date. Qui sait ce que demain nous offrira ? Autour de nous, les feuilles tombent, et les mauvaises nouvelles ; les amis disparaissent, qui nous précèdent dans un au-delà inconcevable.
« Que passent les heures ! Les fleuves vont à la mer, et nous dans le temps.
La question qui pend aux branches du crépuscule : Est-ce toi qui passes ? »
« Portez-vous fier », dirait l’ami Jean-Pierre. Et prenez soin de vous.
Sablé, 16 novembre 2016, Cl. C.
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