Janvier 2017 – « L’hiver, saison de l’art serein, l’hiver lucide… »
Une page sans importance : j’avais envie de venir bavarder avec vous. Mais aussi de rassurer les lecteurs inquiets…
1 – Les Cahiers continuent de se bien porter. Le n° 35 est en préparation. Vous le savez, un changement va intervenir après sa sortie en mars. Mais Jean-Marie et moi faisons en sorte que tout se passe bien.
Le dossier sur Marguerite Audoux est en préparation pour le 35 et René Guy Cadou sera l’invité du 36. Peut-on mieux assurer la continuité ?
Petite précision, pour répondre à certains abonnés qui s’étonnent des dates de parution des différents numéros :
La revue est trimestrielle ; nous publions bien quatre numéros par an, mais … si nous tenons à assurer une belle régularité, les mois de parution sont mars, juin, septembre et novembre. Sachez seulement que cela tient au rythme de vie du directeur. Lequel n’en dira pas plus.
L’adresse informatique des Cahiers est toujours la suivante :
amis.rueventura@hotmail.com
Janvier 2017 nous a apporté une belle surprise : un matin, tout était blanc ; je me suis cru revenu au temps de mon enfance quand, avec les copains, je descendais la rue Saint Nicolas, à Sablé, en glissant sur la neige tassée. En ce temps-là, le chasse-neige qui dégageait les rues était composé d’un triangle de grandes planches (deux d’entre elles en angle, posées sur la tranche – la troisième clouée à plat au bout des deux autres pour fermer le triangle – le tout tiré par un cheval que guidait un homme debout à l’arrière du chasse-neige, sur la troisième planche. Ai-je été assez précis dans ma description ? Vous ai-je aidé à VOIR l’étrange attelage ? Pas facile de rendre par des mots ce qu’une photo aurait montré sans problème. Bien loin ce temps où l’on ne parlait pas de pollution, où les enfants, le jeudi, partaient avec un seau ramasser le crottin de cheval sur les routes pour améliorer la terre des potagers.
Ci-dessous, la neige rue Ventura… Et Louna, notre petite chienne, qui a préféré prendre ses quartiers d’hiver dans sa corbeille.
2 – Journal – Le grand âge arrive à petites foulées. On sent, certains jours, venir le grand froid qui vous habillera de rigidité, avant l’incandescence.
Le plus étrange, le plus inquiétant, c’est ce vent de sable qui souffle sur les souvenirs, les efface comme les traces de pas dans le désert. Que me reste-t-il de mes années d’enfance, que je puisse immortaliser (pour un moment d’illusion) sur le livre du jour ? L’homme se bat contre le plus grand des mystères : que sommes-nous ? Et pourquoi sommes-nous, puisque nous sommes appelés à disparaître, comme si nous n’avions pas existé ? Si vous voulez survivre, disait Roger Martin du Gard, ne comptez pas sur votre famille : dans 60 ans (pourquoi soixante ? trente, peut-être), plus personne ne se souviendra de vous. Et il comptait sur son œuvre, le malheureux ! Plus personne ne le lit. Les jeunes ignorent même qu’il a existé, et écrit. Comme beaucoup d’autres, qui eurent leur moment de gloire.
« Que suis-je dans ma vie ? Ah, j’aurais dû noter / quelque part sur un coin de ciel toutes mes courses… / … cet enfant que j’étais, qui donc me le rendra ? » écrivait Cadou.
Écrire son journal, c’est concrétiser le passage du temps, le retenir dans les pages d’un cahier. Un journal, c’est le temps arrêté, figé par le jeu du récit. Le passé devenu un présent permanent. Belle victoire sur ce temps qui nous achemine vers notre mort !
Dans Journal d’un homme heureux, Philippe Delerm nous dit qu’il ne s’est livré que pendant un an (en 1988-89) à cet exercice d’écriture d’un journal. Il nous l’a livré en 2016, augmenté de commentaires datés de l’an dernier. Se déroule devant nous l’histoire d’une famille. Éclairées simplement, la tendresse, la complicité d’un homme avec sa femme et son fils. Le quotidien – banal – révélé sans recherche. J’aime beaucoup l’écriture de Delerm. Sa gorgée de bière, malgré son succès auprès des lecteurs, ne m’avait pas convaincu ; je lui préférais Le bonheur, tableaux et bavardages. Je continue de préférer ce livre qui parut au Rocher en 1986. En 1988, Delerm note dans son Journal : « Je suis riche, incommensurablement riche de ce qui manque à presque tout le monde : le temps » ! Heureux homme !
S’il est quelqu’un à qui le temps manquait, c’est bien Serge Wellens. Dans ses lettres je le voyais perturbé par les ravages qu’occasionne le temps sur l’individu. J’ai beaucoup échangé avec lui. Sa foi m’a toujours étonné – et laissé incrédule. Je pense, cependant, que cette foi lui a facilité le vieillissement et fait accepter le passage dans l’au-delà. Apporté, peut-être, la sérénité. Rappelez-vous le poème « Le vieux prend congé »…
Je n’ai jamais pu entrer dans le jeu, puéril, des philosophes qui cherchent (et croient trouver, parfois) des preuves de l’existence de Dieu. Mais il reste l’art, les arts…
C’est peut-être ce qui tenait Marcel Arland pendant des heures dans la salle obscure, au 2ème étage de la maison de Brinville. Parlant de Marcel Arland, Jean Duvignaud écrivait : « À lui qui vécut chaque jour sa propre destruction et l’effroi qu’elle lui inspirait, la mort fut paisible – la belle mort des Grecs : le cœur qui s’arrête de battre… » Qu’en sait-il, lui, si la mort d’Arland fut douce, ou s’il ne mourut pas de peur, tout simplement, malgré ses quatre-vingt-sept ans ?
Je l’ai dit, le dossier de juin 2017 dans les Cahiers sera consacré à René Guy Cadou. En 1951, j’étais en seconde ; Georges Jean, notre professeur de lettres, nous lisait les poèmes de ce jeune homme qui avait écrit un jour : « Je ne ferai jamais que quelques pas sur cette terre » et à qui la mort venait de donner raison. J’ai marché à plusieurs reprises sur les pas du Poète. À Sainte Reine où il est né, puis dans tous les villages où il est passé. À Louisfert, Hélène nous a emmenés plusieurs fois dans la chambre du haut où il se réfugiait pour écrire après la fin de la classe. Nous nous sommes attardés devant sa bibliothèque où les livres de la collection blanche Gallimard étaient les plus nombreux. Devant le moulage de sa main et la petite table au milieu de la pièce, devant la fenêtre…
Georges Jean aimait beaucoup la poésie de Cadou, mais il nous conseillait aussi de lire Mallarmé. Curieux rapprochement. Quand il est mort, son fils a trouvé sur sa table de chevet un livre de Mallarmé ouvert à la page du « Tombeau d’Edgar Poë ».
Malgré le silence qui à Paris pèse sur son œuvre, vous avez tous, à l’école primaire, appris au moins un poème de Cadou. Je vous donne rendez-vous dans nos pages en juin. Hélène disparue, qui pendant plus de 50 ans a entretenu sa mémoire, maintenant c’est à nous de le faire survivre !
« Celui qui entre par hasard dans la demeure d’un poète / Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui / Que chaque nœud du bois renferme davantage / De cris d’oiseaux que tout le cœur de la forêt… »