Janvier 2019. Une nouvelle année…
Mon Anthologie poétique doit paraître au printemps. Pour ce livre, le choix a été douloureux et salutaire. Beaucoup de textes sont restés sur le bord du chemin. Au terme de ma recherche en poésie (j’ai tout testé : le vers classique, le vers dit libre, le verset, la prose), il me reste l’espoir d’être lu par quelques-uns, compris, et peut-être d’exister dans un futur où je ne serai plus.
Au moment où j ‘abandonne l’écriture de la poésie, j’ai souhaité redire ce qui me guide dans la préparation d’un livre. Je sais, certains vont vous souffler que je radote. Je n’ai aucune amitié pour ces gens-là et je veux bien courir ce risque. J’ai été affronté à tant de problèmes en gérant ma revue Les Cahiers de la rue Ventura, à cause de l’ego surdimensionné (certains disent : « gonflé à l’hélium ») de soi-disant poètes (soi-disant, pasprétendus, j’espère que vous voyez la différence, laquelle la plupart des jeunes blancs-becs formés actuellement par les universités sont bien incapables de sentir) tant de problèmes, donc, que je préfère m’adresser à quelques-uns, oubliant les autres. Et je repense à Julien Gracq affirmant que dans quelque vingt ans, il n’y aura plus de lecteurs pour des livres comme En lisant en écrivant (sans virgule, le titre, tenait-il à souligner), parce que les auteurs dont il parle dans cet ouvrage, plus personne ne les aura lus.
Je sais, je ne suis pas un grandpoète ; le hasard ( ? ), et mes choix dans les années 70 ont fait que mon (petit) coup d’éclat de 1971 ( un prix de l’Académie Française, suivi d’une entrée dans une superbe Anthologie parue chez Hachette – je m’y trouvais aux côtés de Victor Hugo, Heredia, Michelet, Loti, Flaubert, Mac Orlan, Chateaubriand, Alexandre Dumas, et beaucoup d’autres. Quel honneur ! L’anthologie avait pour titre Océan d’Armorique ; on peut y lire des extraits de mon roman Stef et les goélandssorti chez Julliard en 1971)… mon petit coup d’éclat (excusez-moi : il faut remonter très haut dans ce texte pour raccrocher ce 2ème coup d’éclat au premier – pour vous y aider, je les ai mis en gras) fut suivi d’une entrée dans le silence. Tenez, une petite confidence : l’explication de ce silence de 27 ans se trouve peut-être dans les dernières pages de Stef et les goélands. Il faut savoir lire entre les lignes, comme on dit parfois.
Ce livre, paru aux Éditions Julliard est épuisé ; mais Amazon le propose encore, d’occasion, pour trois ou quatre euros. Il fut tiré à 4000 exemplaires et l’éditeur me paya des droits d’auteur sur 2000 exemplaires. Il y en a donc 2000 dans la nature. Demandez-le autour de vous. Stef est partout et ça me fait bien plaisir. Si vous vous y prenez bien, je pourrai peut-être vous en procurer un : j’en avais racheté quelques centaines à Julliard avant qu’il ne pilonne. Il doit m’en rester quelques-uns dans mon grenier…
Mais revenons à mon propos des débuts de cette page. Excusez-moi de m’être égaré. C’était voulu. Tout ce qui est dit là est d’ordre confidentiel, à destination de mes amis. Vous en êtes puisque vous me lisez, en ce moment. Sachez qu’il se peut que cette publication, ici, soit la dernière. Donc…
Je me répète…
Mes ouvrages en poésie ne sont pas des recueils, mais des livres. Souvent, les poètes écrivent de courts poèmes qu’ils rangent dans une chemise. Quand ils pensent en avoir assez, ils relisent, essaient de classer (sans toujours y parvenir) : Le résultat est un recueil. Je donne souvent comme exemple de ma façon de procéder mon livre intitulé Le Roman achevé. À l’origine, un poème (le mot est au singulier) de 2638 vers, composé de 16 suites. La journée du poète, de 5h à 20h… le quotidien, les souvenirs qui lui reviennent, les livres qu’il ressort de sa bibliothèque, ses auteurs de chevet, ses rencontres du jours, la vie tout simplement. Cet ouvrage est d’abord paru sous forme d’un livre d’artiste tiré à 95 exemplaires. Très vite épuisé, il a été repris par un éditeur en édition courante. Pour la circonstance, j’ai réécrit le texte en versets. Et j’ai gardé à l’adresse des curieux les six versions manuscrites de ce Roman achevé(clin d’œil, on l’aura compris, au Roman inachevé d’Aragon) Si je n’avais utilisé que l’ordinateur, les traces de ce travail auraient été perdues. J’aime montrer à ceux qui viennent me voir rue Ventura les différentes versions du grand poème. On y voit les corrections, les ajouts, les remords d’un artisan du verbe comme il a plu à un ami de me qualifier. Peut-être ce travail intéressera-t-il un jour quelque chercheur en poésie. Un jour, quand je ne serai plus. Et, par la grâce d’une curiosité à satisfaire, je revivrai un moment.
Je souhaite à tous une belle année 2019
Ce qui suit va ressembler à un adieu…
Voici cinq photos liées soit à des moments, soit à des lieux importants de ma vie.
La première, datée juillet 1963, a été prise sur le pont de la Laïta, dans le Finistère. Nous étions jeunes, ma femme et moi ; nos enfants, petits. La Bretagne est certainement ma patrie de cœur. Plus que la Sarthe, mon département natal. Je suis pourtant revenu vivre à 500 mètres de la maison où je suis né. On est ancré, sans l’avoir voulu, dans un lieu, une province.
Mon premier roman, Stef et les goélands, est situé à Port-Louis, le port breton où je me suis marié, en 1958. La 2èmephoto a été prise par la libraire de Sablé en 1971. Lors de la parution du livre, elle était venue chez nous me photographier à ce qui était à l’époque ma table de travail, au rez-de-chaussée de la maison. Elle a fait agrandir la photo qu’elle a installée dans sa vitrine. En ce temps-là, les libraires avaient une haute idée de leur métier. Peut-être peut-on parler d’une qualité qui n’existe plus maintenant : la conscience professionnelle…
La troisième… c’est toute une histoire. Nous étions en vacances à Port-Louis. Nous flânions un soir quand, arrêté devant la devanture d’un bouquiniste, j’ai dit à ma femme : « Mais… c’est un de mes poèmes, là dans la vitrine… » Nous sommes entrés et le libraire nous en a montré d’autres, dans une belle écriture gothique, noire. C’était bien signé de mon nom ! Et vendu quelques francs le feuillet. J’ai cru rêver. Sans révéler mon identité, j’ai demandé à l’homme qui vendait ces poèmes. Et j’ai pu entrer en relation avec une femme (au nom en ec, bien breton – je ne la nommerai pas ici) laquelle pratiquait (sans le savoir, ou en le sachant) une activité tout à fait illégale. Moi, j’étais plutôt content que quelqu’un aime mes poèmes au point de les écrire en gothiques et de les vendre. Nous sommes donc entrés en relation avec cette dame ; nous avons sympathisé et son mari, ancien officier de marine, nous a emmenés sur son bateau faire le tour de l’Île Saint-Michel, un bout de roc situé à l’entrée de la rade de Lorient. Il y eut là, au Moyen-Âge, un prieuré et au 19èmesiècle un lazaret (on y descendait les lépreux avant d’aborder à Lorient). Pendant la dernière guerre, les Allemands avaient miné l’île qu’il fallut nettoyer après 1945. J’avais situé plusieurs scènes de mon roman Yves en hiver (toujours inédit) sur cette île et je voulais la parcourir afin de rendre plus authentiques les scènes de mon livre. J’ai donc écrit à l’Amiral de Lorient pour demander une autorisation. Celle-ci me fut refusée mais, avec beaucoup de gentillesse, l’Amiral m’envoya plusieurs vues aériennes qui donnent une idée précise des lieux. Peut-être un jour reprendrai-je ce livre. Lors de la mini croisière autour de l’île, l’ancien officier de marine nous mitrailla avec son appareil photographique comme si nous étions des gens importants ; vous trouverez en 3èmeposition une de ces photos avec l’île en toile de fond.
La 4ème est datée 1980 : nous habitons depuis quelques années à Souvigné, dans la grande maison que nous avons fait construire au sommet du coteau pour abriter notre famille qui s’est agrandie. Toutes les pièces de vie sont au rez-de-chaussée : à l’étage, trois pièces seulement, mais très grandes : une salle de jeu (elle va vite devenir salle d’études pour nos enfants qui ont vieilli), un jardin d’hiver et à l’avant, la pièce où j’écris, avec ses murs habillés de livres jusqu’au plafond et sa fenêtre qui donne sur le village blotti en bas de la pente, le long de la Taude sa petite rivière. Nous sommes jeunes encore, ma femme et moi – la quarantaine – devant un ananas qui a poussé là, dans la tiédeur et la vive lumière de cette pièce à la température méridionale, été comme hiver ; nous y ferons même pousser un clémentinier qui aura des fruits, comestibles. J’aime regarder cette photo sur laquelle nous avons encore la minceur de la jeunesse.
Dernière image d’une vie : nous habitons dans notre maison de la rue Ventura, dont il aura été beaucoup parlé en France et à l’étranger (j’exagère à peine) avec la revue que j’ai créée en 2008, Les Cahiers de la rue Ventura. Ici, deux fois nous avons eu la visite de France 3 venue interviewer le poète et les « facteurs » de la Revue. Je suis debout devant quelques rayons de ma bibliothèque. À plat sur le rebord du meuble à ma droite, un exemplaire de mon livre sur Reverdy et à gauche une sculpture venue tout droit du Burkina Faso où vit le père de mon petit-fils le métis. J’ai en main le premier volume des Faux-Monnayeurs de Gide, dans la Collection Pourpre, l’ancêtre, si je peux dire, du Livre de Poche, avec son format un peu réduit et son prix abordable pour le maigre budget d’un ado pauvre comme Job dans les années 50. Cette photo, que les lecteurs retrouveront dans le livre que je prépare sur mes écrivains de chevet, réunit le présent et le passé. Il y a quelques années, j’ai publié un texte sur Le Mans dans le magazine La Vie Mancelle. Lequel texte j’avais intitulé « Ma promenade dans la ville est un voyage dan le temps ». La photo que vous allez voir en 5 illustrait cet article.
C’est tout, pas grand-chose. Quelques jalons d’une vie au moment de finir.