Le 26 novembre, le prix Hervé Bazin de la Microfiction a été décerné à Jean-Marie Palach pour sa nouvelle « Mon fils, ma bataille ».
Nous publierons ce texte dans le numéro 15 des Cahiers de la rue Ventura.
Le 3 décembre, notre ami José Millas Martin partait rejoindre le paradis des poètes. Je lui avais écrit le 2 une lettre qu’il n’a pu lire. Nous avions de fréquents échanges de courrier. Dans sa lettre de novembre, il me promettait encore des textes pour la Revue. « Heureusement qu’il me reste l’écriture et l’amitié des poètes, m’écrivait-il. Des poèmes… quand j’en aurai mis au point, je t’en enverrai. A part ça, la vie continue. »
Pour marquer les 90 ans du poète, les Editions Donner à Voir avaient publié « Tango pour José », un petit recueil d’hommages de ses amis davistes.
19 décembre
Georges Jean, dont j’apprends le décès cette nuit, avait aussi eu droit, en hommage, pour son entrée dans la décennie des nonagénaires, à un petit livre dans la collection Tango de Donner à Voir. « A mots gourmands » reprenait des poèmes parus dans ses livres pour la jeunesse.
Avec Georges Jean disparaît le dernier de mes professeurs. Les lecteurs des Cahiers savent qu’il a collaboré plusieurs fois avec des poèmes et des textes sur la poésie. Il est encore présent dans notre anthologie de l’été dernier, avec ceci :
Les mots du silence
Le silence parle
Entends le bruissement de la mémoire
Les paroles éclatées de ton enfance
La voix des tiens comme une soie
La sourde musique des images du monde parcouru
Les paroles de la bien-aimée mêlées aux battements de ton cœur
Les trains les automobiles et le halètement de ce bateau grec qui nous ramenait à Corfou
Les cours de récréation des écoles et les cris d’acier vif des écoliers comme des vols d’hirondelles les soirs d’été
En une seconde le bruit du silence
Investit ta solitude
Georges Jean
Dans une lettre plus ancienne qu’il avait adressée à mes élèves d’Ingrandes-sur-Loire, il commençait ainsi :
« La poésie, c’est une parole double. Les mots en elle se lisent, s’écoutent, bruissent, mais également sécrètent une sorte de voix absente qui chemine lentement dans le corps, dans l’inconscient, dans ce non-dit que nous portons tous et ne livrons que bien rarement et bien mal, au monde et aux autres… »
Quant à moi, en 2007, je publiais dans Equisol une lettre ouverte à Georges Jean pour dire le souvenir que m’avait laissé, depuis les années 50, un professeur différent des autres… Je la redonne ici.
Lettre ouverte à Georges Jean
Vous m’avez toujours impressionné, Georges. C’est déjà une grande audace pour moi, de vous appeler par votre prénom. Un jour, par amitié, vous m’avez suggéré de vous tutoyer puisque, disiez-vous, vous ne vous privez pas de cette familiarité à mon égard. Et c’est vrai qu’entre nous il n’y a pas une grande différence d’âge. Qu’est-ce que 16 ans, maintenant que nous avons vieilli ? Mais tutoyer le maître de mon adolescence, je n’ai jamais pu. Le respect et l’admiration, chez moi, s’accompagnent de distance. Celle que je tenais à garder avec mes élèves.
Vous avez été mon professeur de lettres autrefois. A vrai dire, je n’avais pas dû vous laisser un grand souvenir. Garçon timide, discret, silencieux. Noyé dans le groupe de ce qu’on appelle les élèves sans histoire. En classe, votre exigence était telle que nos devoirs nous revenaient rarement gratifiés d’une note au-dessus de la moyenne.
Et, curieusement – était-ce le flair aiguisé du poète, car déjà vous écriviez à cette époque sans que nous le sachions – la seule note vraiment bonne que j’aie pu trouver sur un de mes devoirs de français par vous corrigé, ce fut le jour où vous nous aviez demandé de pasticher les poètes.
Avec vous – en étiez-vous conscient ? – le plaisir était aussi ailleurs. Au théâtre, par exemple, où vous nous emmeniez voir, entendre du Beckett, du Ionesco, des pièces d’avant-garde qui troublaient les adolescents incultes que nous étions, en une époque pauvre en médias.
Mais le plus étonnant pour moi, c’était votre activité au sein de Peuple et Culture. J’ai assisté à ces séances au cours desquelles vous lisiez devant les ouvriers de Renault des montages de livres de Zola. Et ces hommes que la culture n’avait guère touchés auparavant, vous réussissiez à les émouvoir, mieux : à les faire parler de leurs problèmes qui souvent rejoignaient ceux évoqués par l’écrivain. J’ai vécu là, dans ces salles inconfortables où s’entassait la France ouvrière, des moments inoubliables. Vous, jeune professeur sorti depuis peu de l’E.N.S., quel mobile vous poussait à cette approche humaine du monde du travail ?
Je comprends mieux votre envie de donner à vos élèves une culture qui ne soit pas uniquement scolaire. Vous avez été celui qui le premier m’a entraîné dans l’univers déconcertant de la poésie contemporaine. Je vous revois, dans notre austère salle de cours, ouvrant un livre de la collection blanche Gallimard pour nous lire du Queneau – « Si tu t’imagines, fillette, fillette, si tu t’imagines… » – ou, sortant un ouvrage plus modeste, recueil signé d’un poète mort très jeune au printemps de l’année 1951, nous dire ces textes qui allaient m’habiter longtemps, qui me parlent encore aujourd’hui, les poèmes à Hélène, lus et relus tant de fois. Empruntant la voix d’un autre, vous veniez de semer le rêve dans ma vie.
Chez mes parents, il n’y avait pas de livres. Vous imaginez ma stupéfaction quand, à 15 ans, ayant eu à venir chez vous, je vis que les murs en étaient tapissés. Sagement rangés sur les étagères dans la pièce où j’entrai, ils allaient, dans la maison campagnarde de votre retraite, envahir tables et sièges, comme une marée de savoir. En piles d’une hauteur impressionnante, à l’équilibre instable. Et vous prétendiez savoir où se trouvait chacun d’eux ! Devais-je vous croire ? Oui, sans doute. Cette montagne de livres était la preuve de la soif de connaissance qui vous a toujours habité. Depuis, je vous ai imité dans votre passion des livres, sans atteindre à vos sommets : chez moi, seuls les murs en sont habillés.
D’autres parleront de vos ouvrages mieux que je ne pourrais le faire. C’est de l’homme, du professeur que je voulais parler. Combien de fois les commentaires portés en tête de mes devoirs m’ont-ils irrité ? Je sais maintenant que vous aviez raison. « Style fleuri ! » notiez-vous d’une écriture presque indéchiffrable. « Trop d’adjectifs, trop d’adverbes ! Essaie de faire court. » Avec vous, j’ai appris la concision, que je crois être la qualité principale d’un texte. (Peut-être aujourd’hui, dans cette lettre, l’ai-je un peu oublié…)
Vous êtes né à Besançon comme Hugo, en 1920 comme Cadou. Essayiste, autobiographe, poète : vous êtes tout cela. Vous avez écrit, aussi, pour les enfants, et parlé longuement de La passion d’enseigner qui a guidé votre vie. A la fin de votre carrière, votre travail de professeur a rejoint une de vos préoccupations, sur les chemins de L’écriture mémoire des hommes.
Je vous imagine lorsque le crépuscule avale la journée (1) prenant La parole au piège, bousculant Les mots entre eux, voyageant à travers les lignes / Lovées dans le zodiaque fou / De (vos) astres imaginaires (2) traquant le vide obscur des mots (3) écrivant, écrivant Pour mémoire, en main le calame cher compagnon rétif et docile, le calame qui n’accepte que l’indicible (4) Car, vous le savez, Les mots dans la dérive / N’ont plus rien à cacher / Sinon la force vive / De leur obscurité (5).
Oui, je suis sûr que votre souci aura toujours été d’habiter la langue en poète. La terre de poésie est terre de partage.
Sablé, août 2007
Claude
CAILLEAU
1 – Main d’encre ; 2 – Les mots entre eux ; 3 – Pour mémoire ; 4 – Pour mémoire ; 5 – Les mots écoutent
« L’Ecriture mémoire des hommes » (Découverte Gallimard)
« Parole au piège » (Ed. Millas-Martin)
« Les mots entre eux » (Seghers)